Guinée : les habitants de Conakry obligés de vivre avec les ordures au quotidien
Les rues de la capitale de la Guinée ont atteint en 2016 un niveau d’insalubrité sans précédent. Jeune Afrique est allé à la rencontre de ses habitants, partagés entre lassitude et exaspération.
Il y a peu, tous les slogans et messages sur les panneaux publicitaires ou dans les médias invitaient les Guinéens à la propreté pour se prémunir contre la fièvre Ebola qui a fait 2 500 morts en deux ans. Une fois la transmission de l’épidémie déclarée terminée par l’OMS, voilà que l’insalubrité revient au galop : des montagnes d’ordures poussent partout et s’ajoutent aux eaux stagnantes au milieu des routes boueuses.
La commune de Kaloum, qui abrite la présidence de la République et la plupart des départements ministériels, n’est pas à l’abri. Un travailleur du quartier Sandervalia qui a requis l’anonymat confie avoir dû changer de chemin pour éviter les odeurs nauséabondes qui s’échappent d’une montagne d’ordures obstruant son passage habituel : « Je préfère contourner pour aller au bureau et à la mosquée d’à côté. J’ai également changé de lieu de restauration de peur d’y attraper une maladie », déplore-t-il.
Nous sommes obligés de cohabiter avec ces saletés à nos risques et périls
Même plainte d’un autre citoyen rencontré à Sonfonia, en haute banlieue. Il accuse « le conseil du quartier et l’administration du marché. Les gens paient les taxes, mais les ordures sont toujours là. Elles dégagent une odeur très désagréable et bloquent la circulation. Nous sommes obligés de cohabiter avec ces saletés à nos risques et périls. »
Et les risques sont nombreux, alerte le Docteur Pépé Bilivogui, directeur national de l’hygiène publique : « L’insalubrité a d’énormes conséquences sur la santé. Elle provoque des maladies diarrhéiques comme le choléra, la dysenterie, des infections intestinales et même le paludisme ». Il n’y a toutefois pas de lien entre l’insalubrité et Ebola, transmise entre autres par les liquides biologiques (sueur, sang, sperme) et la consommation de la viande de brousse.
Une pollution d’une ampleur inédite
Dire que Conakry est sale n’est pas nouveau, mais l’ampleur du phénomène cette année est extraordinaire, observent certains volontaires. D’où des initiatives privées d’assainissement, comme celle de Halimatou Dalein, l’épouse du chef de file de l’Opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo. Elle multiplie ces jours-ci les assauts contre les ordures dans les quartiers de Conakry. Certains l’applaudissent, d’autres croient que ce n’est pas désintéressé.
On dirait que la Guinée est devenue le dépotoir de l’Afrique !
« On dirait que la Guinée est devenue le dépotoir de l’Afrique ! Notre initiative est née d’ailleurs de ce constat », précise Amadou Tidiane Bah, responsable médias du réseau « Conakry saine et propre » qui vient d’être créé. Il « vise l’amélioration des conditions de vie des populations de la capitale via la sensibilisation, l’information et l’assainissement ».
Une seule décharge pour 4 millions d’habitants
La politique d’assainissement ne suit pas le rythme de l’accroissement de la population de la capitale guinéenne, analyse Djély Mory Kourouma, secrétaire général de la commune de Kaloum. « L’assainissement est une chaîne, dès qu’un maillon s’arrête, le reste est affecté. L’unique décharge de la Minière a été aménagée alors que Conakry comptait moins d’un million d’habitants. Aujourd’hui, la même décharge est censée recueillir les déchets de quatre millions de personnes. »
Une difficulté qui a mis à mal la bonne exécution du volet assainissement du projet « Filets sociaux productifs » financé à hauteur de 22 millions de dollars par la Banque Mondiale, confirme le coordinateur national, Abdoulaye Wansan Bah : « Nous avons évacué environ 300 000 mètres cubes d’ordures à travers le balayage, l’assainissement et le curage de caniveaux. Nous assumions la collecte et le transport, mais le dépotage n’était pas optimal. La décharge ne peut pas absorber toutes les ordures de Conakry. Or le projet prévoit que les ordures collectées soient forcément dépotées dans les 24 heures dans une décharge aux normes conventionnelles. Les ordures pouvaient rester dans les camions pendant une, voire deux semaines. »
Un nouveau site mis à l’étude
L’État projette d’aménager un nouveau site dans la préfecture environnante de Dubréka. Mais pour y acheminer quotidiennement des déchets de Conakry, distant d’une cinquantaine de kilomètres, il faudrait une route en bon état, prévient le secrétaire général de la commune de Kaloum. Et de pointer du doigt le manque de moyens financiers, une logistique insuffisante et amortie comprenant de vieux camions importés de Chine, sans pièces de rechange. « Quand un camion tombe en panne, on est obligé de prendre les pièces d’un autre pour le dépanner. Il n’y a pas de montant alloué à l’assainissement dans les communes, mais des prévisions budgétaires. Le Code des collectivités locales prévoit que certaines recettes des départements ministériels reviennent aux communes : les redevances de la pêche traditionnelle, de navigation… Mais la seule compétence scrupuleusement respectée est l’état civil à travers la célébration des mariages et la déclaration des naissances. »
L’insalubrité serait due aussi à l’incivisme de certaines personnes qui profitent des grandes averses qui s’abattent en ce mois de juillet sur Conakry pour se débarrasser nuitamment des ordures ménagères en les jetant sur le passage des eaux de ruissellement. Ce serait l’une des causes des inondations qui ont coûté la vie en 2015 et cette année à dix personnes.
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