Ci-gît le « modèle » turc
Une nuit, une seule, celle du 15 juillet, aura suffi à faire basculer la Turquie du côté obscur.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 1 août 2016 Lecture : 3 minutes.
Cette fameuse séquence, totalement imprévisible, qui vit le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan vaciller, recèle toujours de trop nombreuses zones d’ombre. Pourquoi cette tentative de coup d’État s’est-elle révélée finalement si mal élaborée ? Qui était véritablement derrière les putschistes ? Des nationalistes ? Des laïques ? Des partisans de l’imam islamiste Fethullah Gülen, comme le prétend le gouvernement ? Une alliance de tous ?
Vengeance aveugle et despotisme
Seule certitude : nombreux sont ceux, partisans d’Erdogan comme militants des partis de son opposition, qui se sont dressés, dans les rues d’Istanbul ou d’Ankara, contre les auteurs de ce coup de sabre contre la démocratie, préférant un Erdogan élu et légitime à des hommes en treillis aux objectifs peu clairs. Plus inquiétant, Erdogan, qui aurait pu saisir cette occasion unique de se poser en rassembleur, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de son pays, prend le chemin de la vengeance aveugle et du despotisme.
Quel paradoxe ! Il est en train de détruire la démocratie que des milliers de Turcs ont tenté de défendre. Armée, police, enseignement, médias, magistrature, administration : la purge lancée par le chef de l’État est sans précédent. Près de 60 000 personnes sont concernées, arrêtées, entendues, licenciées ou suspendues de leurs fonctions. Quarante-cinq journaux, 16 chaînes de télévision, 3 agences de presse, 23 radios et 29 maisons d’édition ont été fermés. Même la compagnie Turkish Airlines a été touchée, avec plus de 200 employés licenciés pour « liens allégués » avec le gülénisme…
Certains de ses discours, prononcés lorsqu’il était maire d’Istanbul et fidèle disciple d’Erbakan, annonçaient la couleur
S’il faut reconnaître au personnage une sacrée dose de testostérone dans le sang, un courage évident et une volonté de fer, il ne fait que corroborer aujourd’hui ce que nombre de ses détracteurs, comme l’écrivain Nedim Gürsel, annonçaient depuis longtemps sans être véritablement écoutés : Erdogan tient plus du sultan autocrate que du président qui devait démontrer que l’islam et l’islamisme pouvaient rimer avec démocratie.
Le natif du quartier populaire de Kasimpasa, sur la rive européenne d’Istanbul, n’a jamais été un grand poète. Certains de ses discours, prononcés lorsqu’il était maire d’Istanbul et fidèle disciple d’Erbakan, annonçaient la couleur. Et puis vint le tournant de 2007, avec l’effarante mais annonciatrice affaire Ergenekon, un réseau soupçonné de vouloir renverser l’AKP, au pouvoir.
Le gouvernement procède à des vagues d’arrestations, qui visent des militaires, des policiers, mais aussi des intellectuels et des journalistes. Cette affaire, qui incarne le symbole de la lutte engagée par Erdogan contre les militaires et les laïques, se termine, en 2013, par de lourdes peines pour près de 300 accusés. À partir de là, plus rien ne le retiendra. Journalistes poursuivis et incarcérés, titres de presse mis sous la tutelle du gouvernement, membres supposés de la confrérie de l’ancien allié Fethullah Gülen pourchassés : la dérive se poursuit inexorablement.
Aveuglement paranoïaque
Même le mouvement contestataire de 2013, né sur la place Taksim, près du parc Gezi, menacé de destruction, qui verra des centaines de milliers de Turcs occuper la rue dans plusieurs villes du pays pour dénoncer l’autoritarisme du reis (« chef », en turc), ne l’incitera pas à faire machine arrière. Pas de carotte, mais des coups de bâton pour les manifestants. Bilan de la répression : 6 morts et près de 8 000 blessés !
Le putsch manqué du 15 juillet – qui ne représentait en aucune manière une bonne solution pour mettre fin aux ambitions monarchiques du président turc, il est important de le préciser – aurait pu inciter ce dernier à se muer en unificateur d’une nation divisée, soucieux de se montrer ferme mais magnanime, désireux de doter la nation d’institutions pérennes et indépendantes, de soulever la chape de plomb qu’il avait abattue sur les médias.
En lieu et place : l’aveuglement paranoïaque des satrapes arabes qu’il disait mépriser. Plus rien ne semble avoir prise sur lui, pas même la pression des Occidentaux, dont il semble n’avoir cure. L’exception turque, le prétendu modèle de démocratie islamiste dont souhaitaient s’inspirer les Frères égyptiens ou tunisiens, a fait long feu…
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