Tunisie – Mohamed Gammoudi : « Les JO de 1968 à Mexico ? Je n’oublierai jamais ce moment »
À 78 ans, Mohamed Gammoudi est un monument du sport tunisien. Médaillé d’or sur 5 000m à Tokyo, il a également offert à son pays trois autres médailles en argent et en bronze à Mexico (1968) et Munich (1972). Pour Jeune Afrique, il revient sur ses performances et sur sa vision de l’athlétisme en Tunisie.
Jeune Afrique : Vous êtes à l’origine un crossman, pourquoi avez-vous choisi la course ?
Mohamed Gammoudi : Le cross pour moi était une préparation pour la piste. Ma spécialité, c’était les longues distances. L’endurance, c’était tout simplement la préparation adéquate pour ce genre de course en piste.
Votre médaille d’argent à Tokyo en 1964, que personne n’attendait vraiment, a-t-elle contribué à développer l’athlétisme en Tunisie ?
Elle a contribué à ouvrir les portes et surtout à ce qu’on ose prétendre à la victoire. La Tunisie a participé pour la première fois aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, sans aucun résultat. Après ces jeux, le président Habib Bourguiba a insisté pour que la participation tunisienne soit plus performante et donc accordé plus d’importance au sport. Ma participation à Tokyo a renforcé la détermination du gouvernement à développer le sport.
Vous souvenez-vous précisément de ce que vous avez ressenti lorsque vous avez remporté la médaille d’or sur 5 000 m à Mexico en 1968 ?
Je n’oublierai jamais ce moment. J’avais les larmes aux yeux et un frisson a parcouru tout mon corps quand l’hymne national a retenti…
Quelle était l’ambiance de ces jeux de Mexico, en une année 1968 révolutionnaire ?
L’ambiance était vraiment bonne et je ne ressentais pas de quelconque tension dans le village olympique ou dans les endroits que nous étions appelés à fréquenter.
Vous avez dit, après Munich en 1972, que les JO étaient devenus une affaire de business. Cette évolution était-elle inévitable ?
Je dirais même qu’après 68, les JO ont perdu de leur charme. Je ne pourrais dire si c’était inévitable ou pas, puisque les temps et donc les mentalités ont changé. Mais je reste convaincu que les médailles qui ont été remportées à la sueur du front et à coup de sacrifices restent les plus brillantes. Il n’y a pas pire qu’un doute pour ternir la performance d’un quelconque athlète. Une fois l’engouement passé, les interrogations prennent place et c’est vraiment dommage.
On doit accorder plus d’importance aux sports individuels
Qu’avez-vous fait après la fin de votre carrière sportive ?
J’ai entamé ma carrière d’officier supérieur à l’armée jusqu’à la retraite, puis je suis retourné à mes premiers amours et mes origines, à savoir l’agriculture. Mais je réponds toujours présent à chaque fois qu’on me sollicite pour une quelconque manifestation concernant l’athlétisme.
L’athlétisme tunisien s’est-il donné les moyens de faire fructifier vos quatre médailles ? Car vous avez souvent regretté un manque d’ambition, alors que le Maroc et l’Algérie ont obtenu des résultats…
Malheureusement pas assez, puisque les sports collectifs et principalement le foot ont la plus grosse part des budgets. Cela ne concerne pas que la Tunisie. Beaucoup de pays favorisent les sports collectifs par rapport aux sports individuels, sachant que les seconds ont un potentiel énorme. Mais il n’y a pas assez d’encadrement…
La médaille d’or de Habiba Ghribi en 2012 a-t-elle changé les choses ?
Pas vraiment. J’insiste sur le fait qu’on doit accorder plus d’importance aux sports individuels.
Habiba Ghribi peut-elle prétendre à un nouveau titre olympique ?
Je vois Habiba qui, comme moi, a une qualité très importante : l’expérience. À part à Tokyo, où j’avais 26 ans, le reste de mes médailles je les ai eues à un âge avancé et j’étais parmi les plus âgés de mes concurrents. L’expérience joue un rôle très important et c’est la raison de ma défaite face à Billy Mills à Tokyo : le manque d’expérience. Donc même si cela ne va pas être facile à Rio, je crois qu’elle a ses chances de prétendre à un titre olympique si elle sait gérer sa course. Je serai sur place pour la soutenir.
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