Terrorisme : Al-Qaïda, Daesh, même jihad

Ennemies au Moyen-Orient, les deux grandes mouvances de l’islamisme radical ont tendance à s’imbriquer à mesure que l’on s’éloigne du foyer syro-irakien.

Le Franco-Tunisien Boubaker el-Hakim, hier qaïdiste, aujourd’hui rallié à Daesh. © AFP

Le Franco-Tunisien Boubaker el-Hakim, hier qaïdiste, aujourd’hui rallié à Daesh. © AFP

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 26 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

Les attentats de Paris marquent-ils l’avènement d’un terrorisme d’un nouveau genre ? Très inhabituelle, leur "double signature" bouscule les classifications établies et déroute les experts. Les frères Saïd et Chérif Kouachi, à l’origine du massacre de Charlie Hebdo, se sont revendiqués de la branche yéménite d’Al-Qaïda (Aqpa). Dans une vidéo posthume diffusée le 11 janvier, dans laquelle il se présentait comme un "soldat du califat", Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque du supermarché casher de la porte de Vincennes, s’est réclamé de l’État islamique (Daesh).

Or ces deux organisations, qui se disputent la prééminence sur le marché du jihadisme mondialisé, sont rivales et même ennemies. Elles se sont livrées l’an passé une guerre meurtrière en Syrie, qui a fait plusieurs milliers de victimes. Jabhat al-Nosra, l’émanation locale d’Al-Qaïda, a été littéralement submergée par les troupes du "calife" Baghdadi et en est ressortie durement affaiblie.

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Entre les deux formations, les divergences portent moins sur la doctrine et les objectifs que sur les moyens à employer pour les atteindre. Daesh a pour matrice originelle Al-Tawhid wal Jihad, l’organisation du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, violemment antichiite, qui a sévi en Irak entre 2003 et 2006. Zarqaoui a inauguré la pratique consistant à décapiter ses otages occidentaux dans des vidéos de propagande. L’ultraviolence et le carnage ont été érigés en arme et en technique de communication par Daesh. Recrutant les déviants, les déséquilibrés et les pervers du monde entier, sans distinction de race ou de couleur, les légions du calife ont transformé le jihad syrien en une gigantesque école du crime postmoderne.

L’"orthodoxie fondamentaliste" d’Al-Qaïda

Al-Qaïda, ou du moins ce qu’il en reste, car l’organisation d’Oussama Ben Laden a beaucoup perdu de sa superbe depuis la chute de son sanctuaire afghan et son reflux spectaculaire en Arabie saoudite, semble être revenue à une forme "d’orthodoxie fondamentaliste". Le mouvement – responsable des tueries du 11 Septembre à New York et de celles de la gare d’Atocha, à Madrid, en 2004 – réprouve désormais les massacres à grande échelle et restreint ses cibles aux objectifs légitimes : le taghout (l’État oppresseur impie) et ses agents, militaires, policiers et fonctionnaires.

La Tunisie offre l’une des meilleures illustrations de cette porosité extrême entre les deux groupes.

Comment ces deux mouvances hostiles ont-elles pu "synchroniser" une opération conjointe du type de celle de Paris ? En réalité, la distinction entre les deux entités perd de sa pertinence à mesure que l’on s’éloigne du théâtre principal de la guerre, le foyer syro-irakien. La Tunisie offre l’une des meilleures illustrations de cette porosité extrême entre les deux groupes. Les jihadistes combattent en effet indifféremment sous le drapeau de la katiba Oqba Ibn Nafaa, active dans les régions montagneuses du Centre-Ouest, ou sous la bannière d’Ansar al-Charia, l’organisation d’Abou Iyadh (l’homme le plus recherché du pays, qui a trouvé refuge dans l’émirat islamique de Derna, en Libye).

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Interrogé à ce sujet cet été, un responsable de l’antiterrorisme tunisien confiait : "Ne prêtez pas trop d’attention aux appellations, c’est la même mouvance, les troupes se régénèrent en permanence. Les unités combattantes sont effectivement placées sous l’autorité directe d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique] et sont dirigées par un émir algérien, Lokman Abou Sakhr. Mais la plupart des hommes et le support logistique sont fournis par Ansar al-Charia, qui a fait allégeance à Daesh."

De Tunis à Paris

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La même imbrication était à l’oeuvre à Paris. Le sergent recruteur de la "cellule des Buttes-Chaumont", spécialisée dans l’envoi de jihadistes en Irak et à laquelle appartenait Chérif Kouachi, est un Franco-Tunisien : Boubaker el-Hakim. Il est impliqué dans l’assassinat, en Tunisie, des opposants Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, en 2013, et se trouve aujourd’hui en Syrie, où il combat dans les rangs de Daesh.

>> À lire "Charlie Hebdo : les connections tunisiennes de Chérif Kouachi"

Les frères Kouachi, qui étaient sous l’influence de Djamel Beghal, l’un des lieutenants français de Ben Laden, ont séjourné en 2011 au Yémen auprès d’Aqpa et ont dit avoir reçu leur "ordre de mission" d’Anwar al-Awlaki, un prédicateur américano-yéménite tué entre-temps par un drone américain. Mais rien ne prouve à ce stade qu’ils aient bénéficié d’un quelconque soutien logistique ou financier. Le plus probable est qu’ils ont monté l’opération en duo avec Coulibaly, qui, pour sa part, n’a été en contact qu’avec Beghal. Ce qui ne l’a pas empêché de se réclamer de Daesh, sans doute moins en raison d’hypothétiques liens avec cette organisation que par besoin de reconnaissance.

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