L’Afrique du Sud post-Mandela réinvente sa démocratie
Jeudi 6 Août 2016, Port Elizabeth. Athol Trollip est assuré de devenir le futur maire de Nelson Mandela Bay.
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Thomas Lesaffre
Politologue au Public Affairs Research Institut à Johannesburg.
Publié le 8 août 2016 Lecture : 3 minutes.
Pour fêter ce qui apparaît comme un tournant dans l’histoire politique sud-africaine contemporaine, l’ancien représentant de l’Alliance Démocratique (DA) au Parlement s’exprime devant ses fidèles non pas en anglais ou en afrikaans mais bel et bien en xhosa, langue de la majorité noire. Symbole s’il en est du brouillage des cartes politiques en Afrique du Sud.
L’histoire retiendra que c’est dans une ville rebaptisée du nom du héros de la lutte contre l’apartheid qu’une réelle redéfinition des rapports entre identité raciale et identité politique s’est opérée. Jusqu’ici, les choses étaient restées relativement claires dans la relation qu’entretiennent « race » et politique en Afrique du Sud : l’ANC recevait le vote des catégories populaires et de la classe moyenne noire, tandis que l’Alliance Démocratique trustait les populations blanches, métisses et indiennes.
Plébiscitée par une nouvelle base électorale élargie en direction des populations noires de Pretoria et Port Elizabeth, la DA se retrouve dans une position tant inédite qu’historique. Celle de devoir administrer deux agglomérations marquées à la fois par un taux de chômage élevé et la présence d’une jeunesse peu qualifiée. N’en déplaise au président Jacob Zuma qui, quelques jours avant l’élection, questionnait la rationalité des électeurs noirs du DA, pour de plus en plus de citoyens sud-africains, la politique se perçoit au-delà des lignes de divisions raciales, des identités héritées du passé.
Il faut dire que l’opposition n’a pas lésiné sur les moyens. L’histoire de la DA a été largement réécrite, se voulant désormais celle d’un parti de libération. Exit les slogans et discours orientés sur les problèmes de la minorité blanche. La figure de Mandela est convoquée, tandis que des leaders noirs se retrouvent désormais en tête de liste des plus grandes villes du pays. Si aucune personnalité proéminente de la lutte contre l’apartheid n’apparaît, l’Alliance Démocratique n’hésite pas à faire appel à des figures bien connues des classes moyennes noires, à l’instar de celle d’Herman Mashaba.
Le langage de la transformation s’est substitué à un discours traditionnellement plus conservateur
Le candidat pour la municipalité de Johannesburg, était jusqu’à présent plus connu pour ses activités de businessman dans le secteur des cosmétiques que pour ses idées politiques. Originellement contre le principe de discrimination positive, le parti s’est petit à petit rangé derrière les réformes qu’il combattait hier encore au Parlement. Le langage de la transformation s’est substitué à un discours traditionnellement plus conservateur.
Le parti au pouvoir a lui aussi sa part de responsabilité dans la redéfinition des liens qu’entretiennent identités raciales et identités politiques. L’administration Zuma se définit de plus en plus comme une caricature grotesque de ce que certains souhaitent voir comme un « pouvoir noir ». La corruption rampante et le supposé manque d’instruction du président deviennent une arme politique pour ceux souhaitant faire l’amalgame entre ce dernier et ses électeurs. Dans un pays où les moindres faits et gestes prennent rapidement une connotation raciale, et où de nombreux commentateurs politiques n’hésitent pas à recycler et à maquiller les vieilles idées du passé, de plus en plus de Sud-Africains souhaitent le départ d’un président devenu gênant. Dans ce contexte, la figure de Thabo Mbeki qui imposait le respect à la fois au sein de la communauté blanche et des électeurs de l’ANC refait surface. Car au-delà des performances municipales, les électeurs sud-africains des grandes villes du pays, notamment, ont voulu dire stop à celui qui offre une piètre image de la communauté noire de son pays.
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