Jeux olympiques : opportunisme national et couleurs de peau
Les athlètes sautent les frontières comme des haies, au gré des intérêts politico-sportifs des États. La ligne d’arrivée est celle des prestigieux Jeux olympiques, comme ceux qui se déroulent actuellement à Rio. Et le « jeu des nationalités musicales » se pratique dans toutes les directions…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 10 août 2016 Lecture : 4 minutes.
Dis-moi quel sport tu pratiques et je te dirai quelle est ta couleur de peau : la valse des a priori a encore de beaux jours devant elle. « Ping pong » ? Ta peau est jaune. « Patinage artistique » ? Tu es plus blanc que blanc. « Marathon »? Tu es basané, sombre du point de vue des Européens, mais plutôt clair du point de vue des Subsahariens. Bien sûr, les clichés sur les épidermes sportifs peuvent avoir une explication environnementale qui échappe largement au racisme. S’il y a davantage de petits Blancs qui pratiquent les sports de glace, c’est sans doute en grande partie parce que les plaines enneigées de Sibérie hébergent relativement peu de famille de Noirs. Et si l’Africain « teint noir » Lamine Guèye avait tenu à porter à bout de bras, dès 1980, une fédération sénégalaise de ski, ce n’est pas pour avoir façonné, dans son enfance, beaucoup de bonhommes de neige. Il restera d’ailleurs skieur solitaire. Et c’est un Comité international olympique rébarbatif qui lui dira un jour que : « les Jeux olympiques d’hiver, pour des raisons tout simplement climatiques et géographiques, ne conviennent pas à certains pays du monde ».
Dynamiter le fatalisme météorologique ou culturel
Pour dynamiter le lien entre discipline, couleur et nationalité, et ainsi échapper un tant soit peu au fatalisme météorologique ou culturel, il reste le tour de passe-passe des nationalités acquises. Tandis que le débat sur l’obtention de la citoyenneté française se heurtait notamment à la question de la maîtrise de la langue de Molière, la Sierra-Léonaise Eunice Barber obtint le passeport gaulois, en 1999, alors que son vocabulaire français laissait un peu à désirer. Mais ses mollets faisaient d’elle une championne d’heptathlon bien utile aux statistiques de médailles du pays de Voltaire et de Rousseau. On pourrait se réjouir de ce mérite républicain du muscle s’il rebattait les cartes du lien couleur-sport. Sauf que l’Africaine déracinée apportait de l’eau au moulin des parangons d’un déterminisme racial qui voudrait que les pistes d’athlétisme soient « naturellement adaptées » aux personnes largement pourvues de mélanine. Et elle évolua dans un pays où la présence significative des Noirs dans le monde du sport – pour certains leur cantonnement – n’étonne plus. Inutile d’invoquer les propos lepenistes sur l’équipe de France de football…
La polémique Carla Frangili en Côte d’Ivoire
Pour des raisons d’intérêt statistique, la naturalisation d’athlètes d’une couleur « inattendue » ne poserait-elle donc plus de problèmes ? La réponse n’est pas si évidente si l’on s’éloigne du cadre euro-centré. À l’orée des Jeux Olympiques qui se tiennent actuellement à Rio, la tireuse à l’arc ivoirienne Carla Frangili entendait le Comité national olympique de Côte d’Ivoire lui annoncer qu’elle ne participerait pas aux J.O., quand bien même elle était théoriquement qualifiée pour avoir obtenu sa médaille d’or, lors des derniers championnats d’Afrique. Et le débat de sa couleur de peau de surgir sur les réseaux sociaux accusant les autorités sportives d’avoir disqualifié une championne d’origine italienne « trop blanche » pour « se prévaloir de la nationalité ivoirienne ». Là aussi, il est question de « nationalisation » opportuniste et c’est justement un vice de procédure dans la naturalisation de la tireuse qui serait, selon le CNO, la cause réelle de la disqualification. Bureaucratie ou racisme ? La couleur de peau ne serait-elle toujours pas anodine dans le sport africain ? Faut-il voir du racisme, quand la question du teint dominant des Springboks sud-africains est posée ? La couleur de peau d’Oscar Pistorius a-t-elle joué, dans sa médiatisation, un rôle aussi important que son physique de beau gosse – en haut – et d’handicapé lourd – en bas ? Ceux qui posent la question sont-ils davantage racistes que ceux dont ils entendent dénoncer le goût du buzz ?
Être sélectionnable aux JO
Toujours est-il que les naturalisations par objectif sportif n’ont plus toujours affaire avec une couleur de peau inattendue et qu’elles ne concernent plus seulement un transfert du Sud au Nord. Comme certains Africains cherchaient le bon encadrement des infrastructures sportives européennes, certains Européens trouvent, en Afrique, l’opportunité d’être mieux classés dans un vivier national, donc « meilleurs de façon relative » ; et donc sélectionnables aux Jeux olympiques. Ainsi, en 2004, la Cubaine Yamilé Aldama, spécialiste du triple saut, défendait les couleurs du Soudan. Beaucoup plus récemment, l’escrimeuse française Gwladys Sakoa a décroché son ticket pour les JO de Rio, par le biais de la sélection de la Côte d’Ivoire, pays aux talents d’escrime peu remarqués. Bien sûr, l’athlète, plus noire que Carla Frangili, a des parents d’origine ivoirienne.
En juillet dernier, la presse marocaine s’émouvait de voir un vingt-sixième athlète marocain opter pour une autre nationalité
Au-delà de cet exemple de basculement vers l’une ou l’autre des composantes de ses origines, ce sont des déracinements parfois plus « sauvages », et pour le moins artificiels, auxquels on assiste encore beaucoup. En juillet dernier, par exemple, évoquant une« hémorragie », la presse du royaume chérifien s’émouvait de voir un vingt-sixième athlète marocain opter pour une autre nationalité : Seddik Mikou devenu bahreïni. Il y a quelques années, la Russie était mise à l’index pour ses pratiques massives de débauchage sportif transnational. En 2014, le président de la Fédération russe d’athlétisme indiquait clairement qu’à l’instar de la Grande-Bretagne, son pays souhaitait une équipe d’athlétisme à « ossature noire ». Question de couleur donc ?
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