Terrorisme en France : le jour d’après…

À gauche comme à droite, les responsables politiques ont réagi avec la gravité et la dignité requises aux attentats islamistes du 7 janvier. Du coup, leur image dans l’opinion s’améliore. Ce n’est certes pas un luxe !

Après le discours de Manuel Valls, les députés ont applaudi et entonné l’hymne national. © CITIZENSIDE/JALLAL SEDDIKI / citizenside.com

Après le discours de Manuel Valls, les députés ont applaudi et entonné l’hymne national. © CITIZENSIDE/JALLAL SEDDIKI / citizenside.com

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 22 janvier 2015 Lecture : 8 minutes.

On croyait la France déprimée, larguée, macérant dans une amère décoction "décliniste", shootée à l’autodénigrement permanent et à la haine de soi – et des autres. L’extraordinaire sursaut populaire qui a suivi les tueries du siège de la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, de Montrouge et du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes s’apparente donc à une divine et rafraîchissante surprise. Ce "cher et vieux pays", comme disait de Gaulle, a donc encore des réflexes, il réagit au stimulus de la barbarie. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

Mais gardons-nous de toute illusion unanimiste, qui n’est souvent qu’une figure du mensonge. "Je suis Charlie" ? D’un point de vue publicitaire, ce slogan lointainement inspiré du célèbre "nous sommes tous des Juifs allemands" soixante-huitard est génial. Comme une onde de choc, il a balayé le monde dans l’instant, résonné jusque dans les palais kitch hollywoodiens ("Dje souis Tchârlie") et suscité sous toutes les latitudes cette angoissante question : c’est qui, ce Charlie ?

Le tirage de sa première livraison après la tragédie donne le vertige : sept millions d’exemplaires !

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Charlie Hebdo est un journal satirique, anarchisant et un rien démodé qui connut son heure de gloire dans les années 1970 mais ne vendait plus chaque semaine que trente mille exemplaires, raison pour laquelle il était au bord de la faillite. Bénéficiant d’une généreuse subvention de l’État et érigé au rang de cause nationale, il amorce, à son corps défendant, un spectaculaire rebond. Le tirage de sa première livraison après la tragédie donne le vertige : sept millions d’exemplaires !

Charlie est souvent drôle, parfois bêtement anticlérical, ce qui n’autorise évidemment personne à massacrer ses employés ! Les innombrables "Charlie" anonymes qui, le 11 janvier, ont déferlé de la place la République à celle de la Nation étaient certes portés par leur rejet du terrorisme et leur volonté de préserver la liberté d’expression, mais aussi, c’est la vie, par une foule d’ambiguïtés, de malentendus et d’arrière-pensées diverses. Alors, que dire des politiques !

Chacun a joué son rôle avec gravité

À l’exception notable de la famille Le Pen et de ses affidés, tous les leaders, de gauche comme de droite, se sont honorablement comportés. Chacun a joué son rôle avec la gravité et la dignité requises. Tous, de Manuel Valls à Nicolas Sarkozy, ont proclamé leur horreur des manoeuvres politiciennes en ces temps de mobilisation patriotique. Ils n’en pensaient évidemment pas un mot, mais chaque chose en son temps.

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Le président de la République, qui fut parfois dans le passé effleuré par l’aile du ridicule – qu’on songe aux navrantes péripéties de son feuilleton conjugal ou à son étrange propension à prononcer des discours sous la pluie en se privant de parapluie -, a revêtu pour l’occasion le "costard" présidentiel, comme dit Gérard Larcher, le président (UMP) du Sénat. Il était temps ! Il n’est d’ailleurs tombé que quelques maigres gouttes pendant le défilé…

Au nom de l’indispensable unité nationale face aux "terroristes illuminés et fanatiques", il a reçu à l’Élysée tous les chefs de parti en commençant par celui de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), son ennemi de prédilection, et a convaincu une quarantaine de dignitaires étrangers – dont certains ne sont certes pas des parangons de vertu démocratique – de se rendre à Paris. Ce n’était pas une mince affaire.

La politique étrangère peut-elle sauver le quinquennat de Hollande, bien mal parti ?

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La vérité est que François Hollande, désespérant de relancer la croissance, d’inverser une courbe du chômage qui s’obstine à ne pas obéir à ses injonctions et de soulager la classe moyenne, c’est-à-dire presque tout le monde, de l’écrasant fardeau fiscal dont il l’a préalablement chargée, veut croire que le salut lui viendra d’ailleurs. La politique étrangère peut-elle sauver son quinquennat bien mal parti ? Jusqu’au 7 janvier, les sondages ne lui accordaient guère de chances d’accéder au second tour de la présidentielle de 2017. Il en était réduit à spéculer sur le bénéfice qu’il pourrait le cas échéant tirer d’un succès de la conférence Paris Climat 2015, en décembre. Bref, il ne savait plus à quel saint se vouer. Quand la diplomatie ou l’écologie ont-elles joué le moindre rôle dans une consultation de ce type ?

>> Lire aussi : Pourquoi la "marche républicaine" de Paris est historique

La cote de Hollande remonte

La récente tragédie peut-elle changer la donne ? Après tout, le médiocre George W. Bush fut bien, en dépit d’un début de mandat calamiteux, triomphalement réélu en 2004 à la faveur des attentats du 11 Septembre… Hollande croit dur comme fer à sa chance, et il est vrai qu’elle lui fait rarement défaut. Serait-il à l’Élysée sans le fabuleux coup de pouce du destin dont Dominique Strauss-Kahn fut l’instrument involontaire ? Les sondages témoignent d’une embellie. Plus de 80 % des Français jugent que le président et son Premier ministre ont été "à la hauteur" des événements.

Du coup, les cotes de popularité de l’un et de l’autre remontent, tout en restant, pour le premier, historiquement basse : 20 % d’opinions favorables (+ 5) selon TNS Sofres-Le Figaro Magazine du 13 janvier, 29 % (+ 8) selon Odoxa-Le Parisien du lendemain. Sursaut passager ou tendance de fond ? On verra. Il ne suffit pas d’endosser le "costard" du président. Ni d’en jouer le rôle devant les caméras. Il faut l’être vraiment. Hollande le sera-t-il ? Il est arrivé dans le passé que, contre toute attente, un homme d’État se révèle à la faveur de circonstances exceptionnelles. Nous n’en sommes évidemment pas là.

Pour l’heure, le grand bénéficiaire de la "séquence" post-Charlie se nomme Manuel Valls. Et pas seulement à cause des sondages (entre 42 % et 53 % d’opinions favorables). Le 13 janvier, sa virile harangue devant l’Assemblé nationale a parfois fait songer à Georges Clemenceau, le Tigre, le père de la victoire de 1918, dont il s’est toujours réclamé. Son allocution a été ovationnée par les représentants du peuple dressés comme un seul homme – à l’exception notable de deux réfractaires lepénistes -, tandis que, des travées de l’hémicycle, montait la mélopée belliqueuse de l’hymne national – qu’on n’avait plus entendu en ces lieux depuis, paraît-il, près d’un siècle. Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! Les jihadistes n’ont qu’à bien se tenir. Mais résistons aux délices coupables de l’ironie et reconnaissons-le sans détour : les députés français chantent juste.

Avant la grande manifestation parisienne, des controverses étaient apparues à gauche – c’est presque ontologique – concernant la participation du Front national. Certains comme Olivier Faure, le porte-parole du PS, peu désireux de jouer les "censeurs" en excluant une formation ayant obtenu 25 % des voix aux élections européennes, y étaient favorables. D’autres, comme François Lamy, bras droit de Martine Aubry, farouchement hostiles.

Marine Le Pen a appelé à un minirassemblement à Beaucaire, bourgade languedocienne conquise l’an dernier par son parti, et s’y est fait siffler…

L’exécutif s’étant habilement abstenu de trancher, Marine Le Pen s’est braquée ("puisque nous ne sommes pas les bienvenus, ce sera sans nous") et, dans l’énervement ambiant, a commis une bévue dont elle n’est pas coutumière. Comment a-t-elle pu appeler à un minirassemblement à Beaucaire, bourgade languedocienne conquise l’an dernier par son parti, et trouvé le moyen de s’y faire siffler, quand le monde entier affluait à Paris à l’appel de l’"UMPS" ? Elle aurait voulu marginaliser, "provincialiser" son parti qu’elle ne s’y serait pas prise autrement. Reste que cette faute n’a pour l’instant guère d’incidence dans les sondages.

C’est peut-être son ineffable père qui a, dans son style si particulier, donné le fin mot de l’histoire. "Je déplore la disparition de douze Français, a commenté Jean-Marie Le Pen, mais non, désolé, je ne suis pas Charlie du tout. Je suis plutôt Charlie Martel, si vous voyez ce que je veux dire." On le voit parfaitement. Charles de Herstal (690-741), dit Martel ["marteau", en vieux français] en raison de sa tendance à tout écraser sur son passage, est censé avoir, en 732, stoppé net l’avancée des Omeyyades de l’émir Abdel Rahman lors de la prétendue bataille de Poitiers, mythe pieusement forgé par les historiens de la IIIe République…

Sarkozy : calme, responsable et consensuel ?

Et la droite, dans tout ça ? Désormais fermement reprise en main par Sarkozy, l’UMP a manoeuvré comme à la parade et affiché son unité, ce qui change des obscurs pugilats passés. Les anciens président et chefs de gouvernement issus de ses rangs (Sarko, Fillon, Juppé, Raffarin, Balladur et Villepin) ont ostensiblement débarqué à l’Élysée en rangs serrés puis défilé de la même manière. Seuls Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing manquaient à l’appel, mais seul leur grand âge en est la cause.

Calme, responsable et consensuel – ne vous y fiez pas trop quand même ! -, l’ancien président qui aspire à le redevenir s’est appliqué à casser l’image de l’agité fascisant obsédé par la promotion de sa propre personne qui, à tort ou à raison, lui colle à la peau. On l’a certes vu dans la manif se tortiller discrètement pour apparaître au premier rang sur la photo, mais on ne se refait jamais complètement.

D’ailleurs, sa taille ne l’y a pas aidé. Sarko est tout ce qu’on veut, mais il a oublié d’être bête. Il a compris que rien ne devait perturber la séquence émotion-recueillement-rassemblement. Plus tard, quand pour le couple exécutif viendra l’heure des périls dans la guerre contre l’islamisme radical, il sera temps de repasser à l’offensive. Et puis, à quoi bon gaspiller ses munitions à plus de deux ans de l’échéance ?

Il a décrypté la stratégie de ses adversaires socialistes : 1. Travailler en sous-main à son encerclement judiciaire (les "affaires") ; 2. Faire en sorte qu’il apparaisse comme le leader indiscuté de l’opposition au détriment de ses rivaux potentiels, Alain Juppé en tête, en tablant sur l’irrémédiable aversion qu’il inspire à une partie non négligeable de l’électorat. Depuis des mois, tous les sondages annoncent en effet la victoire du Front national au premier tour de la présidentielle et son inéluctable défaite au second. Tout risque donc de se jouer d’entrée entre Hollande et Sarkozy, s’ils sont bien les champions de leurs partis respectifs. Deuxième au premier tour, élu au second ? C’est à ce jour l’hypothèse la plus vraisemblable. Autant dire que l’arrivée risque d’être serrée et que chaque voix comptera. Alors, Sarkozy s’adapte et, dans l’immédiat, fait profil bas.

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