Maroc : CookingWithAlia, le tajine à portée de clic
Jusqu’au 30 août, « Jeune Afrique » vous propose un rendez-vous hebdomadaire consacré aux influenceurs africains et / ou de la diaspora qui agitent la toile. Cette semaine, nous rencontrons Alia al Kasimi, cette Marocaine qui met des centaines de milliers d’internautes aux fourneaux avec ses vidéos de cuisine.
CookingWithAlia, c’est ce petit bout de femme à la voix claironnante, arborant jellabas multicolores et fleurs dans les cheveux devant la caméra. Mais c’est aussi plus de 300 000 abonnés sur sa page Facebook, et plus de cinquante millions de vues cumulées sur sa chaîne YouTube… Jeune Afrique vous dit tout sur Alia al Kasimi, cuisinière hors pair capable de simplifier et décliner à l’infini les recettes du couscous ou de la pastilla, mais également businesswoman accomplie, à la pointe des stratégies de communication sur le web.
Souvenirs gustatifs
Née à Rabat, d’un père irakien et d’une mère maroco-algérienne, Alia al Kasimi passe son enfance dans les jupes de sa grand-mère. « À l’époque, il n’y avait pas encore tous ces traiteurs qui aujourd’hui offrent leurs services pour les mariages. Les femmes se réunissaient entre elles sur les toits des maisons pendant plusieurs jours pour préparer les plats de fête. Je goûtais à tout ce que ma grand mère cuisinait », raconte la youtubeuse à Jeune Afrique.
Alia confie qu’elle ne réalise l’importance de ces instants passés auprès de sa grand-mère que maintenant qu’elle donne des interviews. « Quand je cuisine pour ma chaîne, c’est pour moi une façon de faire resurgir ces moments longtemps enfouis dans ma mémoire, durant lesquels ma grand-mère m’a transmis son amour pour les saveurs de mon pays ».
« Comme dans un cooking-show »
Mis à part ces souvenirs d’enfance, rien ne prédisposait Alia à la cuisine. À 21 ans, la jeune femme déménage à Berkeley (Californie) pour suivre un MBA, avant de commencer à travailler à Wall Street comme consultante en management. Chez l’oncle Sam, Alia ne mange pas marocain : « Il y a dix ans, on trouvait très peu d’ingrédients propres à la gastronomie marocaine à l’étranger. Je mangeais plutôt de la bouffe américaine… les petits plats marocains, c’était uniquement quand je rentrais chez moi en vacances ! », commente la youtubeuse.
Un jour, elle demande à sa grand mère, venue lui rendre visite à New York, de lui préparer des « baghrir », les crêpes mille-trous nord-africaines dont Alia raffole. « J’ai décidé de la filmer, comme ça, pour faire comme dans un ‘cooking-show’ et, je commentais en anglais pour pouvoir partager ça avec mes copines américaines… »
À l’époque, YouTube, c’était la jungle…
Alia poste alors sa vidéo en ligne. « C’était il y a huit ans : à l’époque, YouTube, c’était la jungle. On y mettait un peu n’importe quoi, c’était juste le moyen le plus simple pour partager des vidéos avec les amis », explique Alia.
Mais la magie du web opère, et sa vidéo a un succès inattendu auprès des Américaines mariées à des Marocains. « On n’avait jamais vraiment vu de vidéos de cuisine marocaine en anglais », raconte la youtubeuse. Les internautes lui demandent alors de continuer de poster des vidéos : « Ces femmes étaient très contentes de pouvoir en apprendre plus sur la cuisine marocaine dans leur langue, avec des ingrédients qu’elles pouvaient trouver au supermarché du coin ».
Seul hic : Alia ne sait pas cuisiner. Qu’à cela ne tienne, la jeune cadre se prend quand même au jeu, et a l’idée folle de se filmer en train d’apprendre à cuisiner. Elle s’essaie, se lance à tâtons, et se découvre une nouvelle passion. « J’avais l’impression d’aider les autres tout en apprenant », raconte Alia. « Quand je me lançais dans une recette, j’appelais ma grand mère au téléphone, et ça lui faisait plaisir que je la contacte pour lui demander des conseils ».
Face à la ‘harira’ verte, les followers voient rouge
Peu à peu, la mayonnaise prend, et les vidéos d’Alia commencent à tourner sur le web. Des débuts qui ne se feront pas sans couacs : « J’ai été fustigée par certains internautes. Les gens s’offusquaient que je ne respecte pas les recettes traditionnelles à la lettre, et me le faisaient bien savoir ! » Elle évoque en exemple l’épisode de sa harira (soupe marocaine consommée pendant ramadan), dont elle avait simplifié la recette à outrance. D’une couleur anormalement verte, sa soupe avait provoqué un tollé sur la toile ! « Avant, il n’y avait pas vraiment de modération sur YouTube. Au début, j’étais très affectée par ces commentaires », confie Alia.
Mais la youtubeuse ne s’est pas laissée abattre. Nous sommes en 2008, et Barack Obama est élu président des États-Unis. Le mari d’Alia lui dit alors : « S’il ne faut à Obama que 51 % de votes pour être président, toi aussi, tu as seulement besoin que 51% des gens t’aiment pour y arriver ! »
Une businesswoman aguerrie
Ragaillardie et fraîchement installée à Séoul, Alia continue alors de se filmer en train d’apprendre à cuisiner et développe très vite ses talents. En quelques années, sa chaîne YouTube grandit, et les opportunités commencent à pointer le bout de leur nez. Contrat avec Nespresso, publication d’un livre de cuisine, partenariats au Maroc et participation au jury de Master Chef Pologne… En 2013, les choses s’enchaînent à toute vitesse pour Alia, qui travaille alors toujours à un rythme effréné en tant que stratégiste chez Samsung, où elle cumule plus de 80 heures de travail par semaine. Elle consacre alors tous ses weekends à son hobby, qui se professionnalise toujours plus de mois en mois.
En 2014, elle s’entoure d’une équipe pour la réalisation de ses vidéos. « Je n’ai jamais rencontré la moitié des huit membres de mon équipe ! » s’amuse-t-elle. Avec une éditrice et un designer en Italie, et un webdesigner basé au Népal, l’équipe d’Alia est en effet un pur produit de la globalisation, comme l’explique la youtubeuse dans un franglais enthousiaste.
Visionnaire, Alia a toujours une longueur d’avance sur les tendances en entrepreneuriat. « Je ne crois plus en ce modèle où le travail d’équipe se fait entre les murs d’un bureau. Ce qui prime au 21e siècle, c’est la délocalisation ». La chef 2.0 est émerveillée par l’impact du brassage des cultures dans son équipe sur son travail : « Quand c’est une Coréenne qui tient la caméra, chaque geste que je fais, chaque produit que j’utilise est une nouveauté pour elle. Et ce regard neuf se ressent dans le rendu final de mes vidéos… » Et d’ajouter : « Si j’avais eu un caméraman marocain, qui aurait déjà vu se préparer des tas de tajines dans sa vie, mes vidéos auraient sûrement été plus banales… »
Pro des réseaux sociaux
Depuis deux ans, Alia donne un fil directeur à ses vidéos, qu’elle publie désormais sous formes de séries thématiques : des recettes de Thanksgiving, aux légumes mijotés des Dadas (cuisinières marocaines traditionnelles), tout y passe selon l’inspiration de la youtubeuse, avec une miraculeuse simplicité.
Au début de cet été, Alia a enfin sauté le pas, en décidant de quitter son travail de consultante pour se consacrer entièrement à ses vidéos de cuisine. « Ma chaîne a atteint ce point où je n’aurais pas pu la faire progresser sans m’y consacrer entièrement », explique-t-elle.
Sur ma chaîne youtube, les stars de mes vidéos, ce sont les produits
Elle en profite pour soigner tous les détails de ses vidéos. En as du marketing, elle ne laisse rien au hasard. Son maître mot ? Mo-der-ni-té. Présente notamment sur Snapchat, Instagram, Facebook et Pinterest, Alia sait adapter le contenu de ses vidéos à chaque réseau social.
Elle commente : « Le problème avec certaines chefs habituées à passer à la télévision, c’est que leur conversion sur YouTube se fait difficilement, leurs vidéos ne faisant qu’imiter le style adapté aux émissions télévisées« . Elle poursuit : « Au lieu de voir les produits, on voit à 90 % du temps la tête de la cuisinière, et peut-être deux ou trois plans sur les carottes. » Et de conclure: « Sur ma chaîne YouTube, les stars de mes vidéos, ce sont les produits ».
Une youtubeuse multitâche
Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie, Alia ne sait donc plus trop quoi répondre. « Je ne suis pas exactement chef, je n’ai pas de restaurant… disons que mon nouveau métier est de transmettre le ‘know-how’, le savoir-faire de la cuisine marocaine ».
Son activité sur les réseaux sociaux lui fait endosser mille casquettes à la fois. Le rôle le plus inattendu en date ? « Depuis que la presse s’intéresse à ma chaîne, je me suis retrouvée, à 34 ans, du haut de mon mètre cinquante, à poser pour les magazines ! Jouer les mannequins n’est pas vraiment mon truc, mais je le fais quand même… Dans notre ère de communication, ce n’est plus suffisant de se cantonner à un seule rôle ! » Surfant sur cette vague de nouveauté, elle a récemment lancé un concept d’ateliers cuisine qu’elle diffuse en live sur Facebook. Ce mois-ci, désireuse d’étendre son audience aux pays du Maghreb et du Moyen-Orient, la youtubeuse hyperactive vient de lancer la version arabe de sa chaîne.
Jamais à court d’idées, elle multiplie les voyages et les projets à travers le monde. Ce qui l’amène à rentrer plus souvent dans son Maroc natal, où elle a déjà développé plusieurs partenariats et s’apprête à animer des ateliers de cuisine pour les jeunes. Affirmant vivre le passage du salaire de haut cadre aux revenus imprévisibles du monde des vidéastes comme une « claque », Alia n’en est pas moins excitée à l’idée de tout faire aujourd’hui pour vivre de sa passion. Et quand elle évoque les différentes stratégies qu’elle envisage pour faire prospérer sa chaîne, il est évident que l’ancienne consultante à Wall Street a plus d’un tour dans son sac (de semoule) pour poursuivre ses projets !
Partager l’envers du décors
Si Alia insiste autant sur le travail acharné derrière ses vidéos, c’est qu’elle estime avoir une responsabilité auprès de sa communauté de followers. « Avant, je recevais des commentaires de jeunes femmes qui me disaient : ‘Merci pour tes vidéos, mon mari n’a jamais été aussi gentil avec moi depuis que je suis tes recettes’ ». Gênée de ces retours, Alia mesure l’influence de ses productions et décide de s’exposer davantage pour raconter son parcours aux femmes. « Je ne veux pas véhiculer l’image de la ménagère qui reste à la maison par défaut, ou encore faire comme toutes ces stars ‘bling bling’, qui sont talentueuses mais qui s’évertuent pourtant à n’afficher que leur sac ou leurs bijoux sur les réseaux sociaux », commente la Youtubeuse.
Alia a décidé de tout garder sur sa chaîne YouTube, y compris les vidéos embarrassantes de ses débuts où elle multiplie les ratés…Elle explique : « Je suis consciente d’avoir une plateforme qui peut encourager les autres : je refuse de vendre du rêve. Je veux que mes abonnés comprennent que j’ai trimé des années en partant de zéro, et que j’ai fait de hautes études avant de choisir de me lancer dans cette aventure. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Esclavage : en Guadeloupe, un nouveau souffle pour le Mémorial ACTe ?
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Janis Otsiemi et la cour de « Sa Majesté Oligui Nguema »
- Francophonie : où parle-t-on le plus français en Afrique ?