Niger : pourquoi les manifestations anti-« Charlie Hebdo » ont été si violentes

Les violentes émeutes contre la une de « Charlie Hebdo » ont fait dix morts au Niger. À la colère contre l’hebdomadaire français, villipendé par des islamistes pour avoir caricaturé le prophète Mahomet, se sont ajoutées les tensions politiques nationales.

Lors de la dispersion de la manifestation à Niamey, le samedi 17 janvier. © AFP

Lors de la dispersion de la manifestation à Niamey, le samedi 17 janvier. © AFP

Publié le 19 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

Dix personnes ont trouvé la mort dans des émeutes ces derniers jours au Niger : cinq à Niamey samedi et cinq autres la veille à Zinder (sud-est), la deuxième ville du pays. Dans la capitale, au moins dix églises, ainsi que des bars, hôtels et autres commerces appartenant à des non-musulmans ont été détruits, tandis qu’à Zinder plus de 300 chrétiens se sont réfugiés dans deux camps militaires. Retour sur deux jours de violences politiques et religieuses.

Zinder, ville frondeuse

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Les manifestations contre la une de Charlie Hebdo, vendredi, à Zinder, ont fait quatre morts et 45 blessés. Le Centre culturel franco-nigérien a été incendié et trois églises saccagées dans cette agglomération proche du nord du Nigeria, où le groupe islamiste Boko Haram ne cesse de multiplier les massacres.

"Les violences à Zinder ne sont guère une surprise, observe une source humanitaire régionale. C’est une ville frondeuse, un bastion de la contestation systématique au pouvoir central (…) sur fond de rivalités économiques entre chrétiens et musulmans. À Niamey en revanche, la contestation semble plus politique…"

Une autre source locale, témoin des violences à Zinder, s’interroge néanmoins sur le caractère "spontané" des violences. Selon elle, les chrétiens de Zinder "avaient déjà eu des informations indiquant qu’ils allaient être visés trois jours avant la manifestation de vendredi". Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : comme dans le reste du Sahel, l’islamisation et l’influence wahhabite est sans doute plus profonde qu’on ne veut bien le penser…

Des manifestations contre Charlie Hebdo ou contre Mahamadou Issoufou ?

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Mahamadou Issoufou faisait partie des six chefs d’État africains qui ont participé à la Marche républicaine du 11 janvier à Paris, après l’attaque terroriste qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Son "Nous sommes tous Charlie", lancé sur les ondes, a provoqué un vent de colère parmi la population, à 98% musulmane. Dans les mosquées, des critiques ont fusé. Vendredi, à Agadez (nord), des manifestants ont crié "À bas le régime !" et le siège du parti d’Issoufou a été incendié.

Après les violences de samedi lors de la manifestation contre Charlie Hebdo à Niamey, le gouvernorat avait décidé d’interdire le rassemblement de l’opposition organisé dimanche, pourtant prévu de longue date. Une décision que l’opposition a ignorée, défiant ouvertement le président Issoufou. Quelque 300 opposants se sont rassemblés place Toumo. Aux cartouches de gaz lacrymogène des uns ont répondu les jets de pierres des autres. Quatre-vingt dix participants ont été arrêtés, parmi lesquel des figures de l’opposition. Tout est cependant rentré dans l’ordre à la mi-journée.

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"Il n’y a aucun lien" avec les émeutes contre Charlie de samedi, a affirmé Issoufou Tamboura, le porte-parole du Mouvement national pour la société de développement (MNSD), le principal parti de l’opposition. Si la manifestation de samedi était "spontanée", celle de dimanche était "programmée depuis une semaine", a-t-il observé. Mais elle n’a pas été déprogrammée à la suite des deux jours de violence, avec le risque de jeter de l’huile sur le feu.

De profondes tensions politiques

Le climat politique est délétère au Niger depuis la fin de l’année 2014. Le principal opposant au président Issoufou, Hama Amoudou, ancien président de l’Assemblée nationale passé dans l’opposition en août 2013, vit actuellement en exil en France, où il a fui après avoir été inquiété dans une affaire de trafic international de bébés, pour laquelle il est actuellement jugé par la justice nigérienne et qu’il dénonce comme un montage "politique".

>> Lire aussi l’interview de Hama Amadou : "J’ai fui le Niger pour sauver ma peau"

Rapidement, la question s’est donc posée de la récupération politique de la grogne anti-Charlie Hebdo par l’opposition. Issoufou Tamboura récuse formellement. Puisque la marche prévue était uniquement "politique", à moins de deux ans de la présidentielle de 2016 dans ce pays sahélien pauvre, "il fallait simplement nous laisser manifester dans le calme", affirme le porte-parole du MNSD, assurant que s’"il n’y aurait eu aucune violence, on n’aurait rien cassé".

(Avec AFP)

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