« Niki de Saint Phalle voulait associer Black Power et Nana Power »

L’exposition parisienne consacrée à la plasticienne permet pour la première fois d’apprécier une facette peu médiatisée de son travail : son engagement contre les discriminations raciales.

Dolores, de Niki de Saint Phalle. © MICHAEL URBAN / DDP / ddp images/AFP

Dolores, de Niki de Saint Phalle. © MICHAEL URBAN / DDP / ddp images/AFP

leo_pajon

Publié le 12 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

Le grand public connaît ses Nanas, des sculptures féminines multicolores, tout en rondeurs. Les spécialistes ont déjà visionné ses séances de tir durant lesquelles l’artiste faisait exploser à la carabine des poches remplies de peinture, créant des tableaux bigarrés. On la savait engagée en faveur de la cause féministe, contre la guerre… Mais les visiteurs de l’expo parisienne que le Grand Palais lui consacre aux galeries nationales ont découvert une autre Niki, celle qui donne de la voix pour les minorités noires. La commissaire responsable de l’événement, Camille Morineau, décrypte pour nous cet aspect de son oeuvre.

jeune afrique : Quand Niki de Saint Phalle s’engage-t-elle contre la discrimination raciale ?

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Camille Morineau : C’est une partie de son travail qui a peu été examinée par les historiens et que l’exposition met pour la première fois en valeur. Il se trouve que les Nanas sont créées à partir de la fin 1964, quand l’influence du mouvement pour les droits civiques américains est forte. Or Niki de Saint Phalle est américaine, et elle a fui les États-Unis au milieu des années 1950, entre autres à cause du maccarthysme et du racisme.

Elle en parle clairement dans ses interviews et écrits biographiques. Elle "suit" donc l’évolution du Black Power aux États-Unis. Les premières Nanas ont, pour certaines, la peau noire. Mais personne ne l’a remarqué en France, et pour cause ! Cette question n’intéresse pas spécialement les Français des années 1960.

Comment cet engagement se manifeste-t-il dans son oeuvre plastique ?

Dès les années 1960, elle choisit de créer des Nanas qui ont la peau noire ou sont plus ou moins métissées. Une Nana à qui elle donne le nom de "Black Rosy" a été spécifiquement réalisée en hommage à Rosa Parks, figure de la lutte contre la ségrégation aux États-Unis. Niki de Saint Phalle mentionne d’ailleurs plusieurs fois dans ses interviews sa volonté d’associer Black Power et Nana Power… Elle pense que si ces deux mouvements s’unissaient, ils pourraient "changer le monde".

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Quel sens attribuer notamment à ses Nanas noires ?

Les Nanas sont des sculptures féministes : Niki l’explique bien, ce sont des femmes "qui n’ont pas besoin des mecs" ; elles sont joyeuses, autonomes, dynamiques. Or les Nanas apparaissent avant le féminisme, en 1965. Il faut se souvenir qu’en 1966, par exemple, les femmes ne pouvaient pas signer un chèque ou ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. On a donc oublié que les Nanas, ce sont des femmes idéales, utopiques… C’est la femme de demain. De même, la Nana noire, c’est le symbole d’une utopie, un monde où Noirs et Blancs seraient égaux… Tout comme les hommes et les femmes. Les Nanas sont donc tout sauf des oeuvres banales, décoratives, ce sont des sculptures "engagées".

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Comment expliquer que cet aspect de son travail soit finalement peu connu ?

Ces oeuvres apparaissent des années avant le féminisme constitué, et dans une sorte de "désert" théorique et artistique sur le sujet. Il n’y a alors personne pour cerner cet aspect de son travail, personne pour l’entendre lorsqu’elle en parle. De plus, son discours, aussi bien sur les Noirs que sur les femmes, est très "américain" dans l’esprit, alors qu’elle vit principalement en France à l’époque.

Enfin, ici, hier comme aujourd’hui, nous ne sommes pas très en avance sur la question du féminisme dans l’art, il n’y a pas de gender studies [ces "études de genre" comparant les représentations associées aux femmes et aux hommes]. Bref, personne, ces dernières années, n’a été réellement attentif au contenu subversif de l’oeuvre de cette artiste.

Niki de Saint Phalle, Grand Palais, galeries nationales, jusqu’au 2 février. www.grandpalais.fr

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