Cinéma : une femme sous les bombes

Eau argentée, le documentaire du Syrien Ossama Mohammed, doit beaucoup aux images tournées à Homs par sa coréalisatrice, Wiam Simav Bedirxan. Rencontre à Paris.

La jeune réalisatrice kurde et le cinéaste Ossama Mohammed, à Cannes. © AMMAR ABD RABBO / AFP

La jeune réalisatrice kurde et le cinéaste Ossama Mohammed, à Cannes. © AMMAR ABD RABBO / AFP

Renaud de Rochebrune

Publié le 12 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

Ce fut le documentaire événement du Festival de Cannes 2014. Mais aussi celui dont on a le plus parlé au début de l’année 2015 après sa sortie en salle. À juste titre. Eau argentée est un long-métrage qui vous entraîne dans une incroyable plongée, aussi radicale que douloureuse, au sein de la guerre qui ravage la Syrie depuis près de quatre ans.

C’est aussi une oeuvre à nulle autre pareille, puisqu’elle est signée par deux auteurs… qui ne se sont jamais rencontrés avant la fin du montage et jusqu’à la première projection, en mai 2014. Elle a été conçue par le cinéaste syrien Ossama Mohammed, en exil forcé à Paris, à partir d’images vidéo récupérées sur les réseaux sociaux, mais surtout à partir de celles tournées sur le vif par une jeune réalisatrice kurde totalement débutante qui séjournait à Homs, bombardée par l’armée de Bachar al-Assad.

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Wiam Simav Bedirxan, la cinéaste en herbe, a pu rejoindre la Croisette en mai, où elle a enfin vu pour la première fois Ossama Mohammed. Mais c’est à Paris que nous l’avons rencontrée, fin 2014, alors qu’elle était de passage en France pour la promotion de cette oeuvre encensée par la critique. Un bref séjour car, comme tient à le préciser ce petit bout de femme passionnée mais timide, il n’a jamais été question de profiter du succès du documentaire pour fuir son pays.

Certes, quand elle a pu rejoindre le convoi qui a permis à une partie de la population civile de quitter la ville martyre, elle savait à l’évidence que c’était un voyage sans retour. Mais "en attendant que la situation évolue", elle a décidé de vivre à la frontière entre la Syrie et la Turquie, "tantôt d’un côté, tantôt de l’autre". Avec l’espoir que ce soit provisoire et que, comme elle le sent "dans son coeur", elle puisse revoir Homs "dans un avenir pas si lointain". À Cannes, elle s’est d’ailleurs trouvée très mal à l’aise après avoir quitté, pour "venir fouler le tapis rouge", des compatriotes "en train de cueillir des feuilles sur les arbres afin de pouvoir se nourrir".

S’est-elle sentie pour autant pleinement coauteur de ce film monté avec ses images et dont le titre renvoie à son prénom, Simav ("eau argentée" en kurde) ? "Ce n’est pas mon film, bien sûr, mais je me sens un million de fois coauteur", dit-elle. Certes, elle l’a regardé non pas comme une spectatrice, mais de l’extérieur, sans émotion, "cherchant surtout à retrouver des points de repère à travers [ses] images tournées à Homs". Mais elle n’a aucun mal à participer à la promotion d’un long-métrage qui montre "ce [qu’elle] a vraiment eu besoin de filmer".

Que filmer en priorité ?

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Originaire d’Alep, Simav ne devait pas tenir la caméra introduite clandestinement à Homs pour le compte d’un ami réalisateur avec lequel elle entendait travailler à un film sur les insurgés. Cet ami ayant renoncé, elle s’est improvisée cinéaste. Ayant particulièrement apprécié les textes d’Ossama Mohammed, elle l’a contacté via internet pour recueillir son avis : que filmer en priorité ? "Filmez tout et envoyez-le-moi", lui a-t-il répondu. Et c’est ainsi que, sans idée préconçue, cette ancienne étudiante en management et responsable des ventes dans divers commerces, auteur de plusieurs textes publiés dans les journaux, est devenue coréalisatrice.

Ces derniers mois, en Syrie ou à proximité, elle a continué à tourner, caméra numérique à la main, "pour capter ce qui est en train de disparaître". Sans trop savoir comment, elle entend bien persévérer dans le cinéma, en professionnelle. Elle se forme dans cette idée, pour "mieux cadrer" et "apprendre à filmer dans des conditions inconfortables, quand il faut être rapide". Parce que le cinéma peut aider à améliorer la situation en Syrie ? "Qui sait ? Les images de cette petite fille brûlée au napalm pendant la guerre du Vietnam n’ont-elles pas hâté la fin des combats ?"

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Eau argentée, d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan (sortie à Paris le 17 décembre)

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