Corée du Sud : les forçats du sel

Dans l’île de Sinui, au sud de la péninsule, des centaines de handicapés coréens travaillent dans les marais salants dans des conditions qui rappellent le temps de l’esclavage.

Les marais salants de Sinui sont le théâtre de l’esclavage moderne. © Lee Jin-man/AP/SIPA

Les marais salants de Sinui sont le théâtre de l’esclavage moderne. © Lee Jin-man/AP/SIPA

Publié le 16 janvier 2015 Lecture : 2 minutes.

"C’était l’enfer. Un matin, avec un collègue ouvrier, nous avons pris la fuite, marché interminablement et franchi d’innombrables digues entre les champs, dans le froid et l’humidité. Finalement, nous nous sommes arrêtés dans un village, épuisés. Un commerçant nous a proposé de prévenir la police, mais il faisait semblant. En réalité, il a appelé notre patron. Celui-ci nous a ramenés à l’exploitation, battus à coups de râteau et remis au travail."

Récit d’un esclave noir travaillant dans un champ de coton dans l’Amérique du XIXe siècle ? Non, témoignage recueilli début janvier de la bouche de Kim Seong-baek, esclave dans les marais salants de l’île de Sinui, en Corée du Sud, à quelques centaines de kilomètres des gratte-ciel de Séoul.

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Tous complices

Comme Kim, plusieurs centaines d’ouvriers agricoles handicapés sont ainsi surexploités par les fermiers de cette île réputée pour ses paysages rocheux et ses richesses naturelles : sel et poisson. "Tout le monde se connaît à Sinui, explique le pauvre homme, qui a finalement réussi à s’enfuir. Les insulaires sont tous complices."

C’est la cinquième fois depuis une dizaine d’années que la presse dénonce – en pure perte – les conditions inhumaines imposées à ces "forçats du sel" : journées de travail de dix-huit heures, gîte et couvert assurés mais ni salaire ni congés. Il est vrai que c’est presque une tradition locale. C’est en effet dans cette même province méridionale du Jolla qu’étaient autrefois exilés les opposants politiques.

À Sinui, les villageois gardent obstinément le silence. Les handicapés ? Oui, ils les connaissent, confie l’un d’eux, mais "la main-d’oeuvre est chère, et sans eux l’économie locale serait menacée". Une enquête de police est en cours. Aux dernières nouvelles, une soixantaine de handicapés auraient été retrouvés, tandis qu’une cinquantaine de fermiers seraient dans le collimateur de la justice pour "mauvais traitements et infractions aux lois du travail".

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Hong Jeong-gi, le patron de Kim, encourt ainsi trois ans et demi de prison, mais il a fait appel. "Il va s’en tirer, soupire, désabusé, le père Cho, prêtre dans une province voisine. La police locale est complice, et jusqu’ici aucun juge n’a jamais osé condamner un fermier."

L’omerta règne

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Un peu plus au sud, à Jeju, une île paradisiaque présentée par les brochures touristiques comme le "Hawaii coréen", tout le monde a entendu parler des "esclaves de Sinui". Mais l’omerta règne. Jointe par téléphone, Choe, enseignante dans la ville de Seogwipo, estime que c’est une question de culture. "Même si la loi et le regard de la société ont évolué, dit-elle, les handicapés ne sont toujours pas acceptés. Il y a encore une dizaine d’années, les parents d’enfants handicapés les cachaient. Ma tante trisomique n’a par exemple jamais quitté l’appartement familial. Pour les Coréens, le handicap est une honte."

D’ailleurs, sur les soixante-trois travailleurs handicapés recensés par la police, moins d’un tiers ont souhaité profiter de leur liberté recouvrée. "Ils préfèrent rester chez nous, explique un saliculteur. Il est trop facile de nous accuser. Nous faisons ce que le gouvernement ne fait pas : offrir du travail à des handicapés."

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