Start-up de la semaine : Jwebi, ou l’essor de la poste collaborative en Afrique
Deux ans après son lancement par une Franco-Tunisienne de 31 ans, le site d’envoi collaboratif de courriers et de colis s’est positionné entre la France, le Cameroun, la Tunisie, le Sénégal et Madagascar avec pour objectif de proposer une alternative aux lenteurs postales, aux coûts prohibitifs ou aux canaux informels. Un potentiel important confirmé par 40 000 demandes d’envois jusqu’à présent.
À l’aéroport Charles de Gaulle de Paris à Paris, il n’est pas rare de voir plusieurs personnes aborder des voyageurs sur le départ en leur demandant leur destination. Et de proposer à ceux qui vont à Dakar, Abidjan ou Conakry d’accepter de prendre dans leurs bagages un paquet pour une personne à l’arrivée, s’ils n’atteignent pas déjà le maximum de poids autorisé.
C’est l’une des facettes du transport informel de courriers ou de colis entre l’Europe et l’Afrique, les routes postales traditionnelles étant sinon soit extrêmement longues, soit très coûteuses ou alors peu sûres.
Des lacunes structurelles dont Asma Ben Jemaa a fait son cheval de bataille. Et le modèle économique d’une société que cette Franco-Tunisienne de 31 ans diplômée de la prestigieuse école de commerce EM Lyon, après un cursus au sein de l’Institut des hautes études commerciales de Carthage (IHEC), développe au côté de Bayrem Foudhaili, par ailleurs directeur technique chez Darty, la chaîne française de vente d’électroménager, de matériels informatiques et audiovisuels.
Un dossier médical, des documents de demande de visa…
Imaginé en 2013 et testé auprès de 650 personnes, Jwebi, une Société par actions simplifiées (SAS) – une forme juridique plus ouverte aux levées de fonds – voit le jour le 12 juin 2014. Son créneau : l’envoi collaboratif de courriers ou de colis entre l’Afrique et la France, où les diasporas sont ciblées en premier lieu.
Car si Grabr ou Roadie aux États-Unis, Nimber au Royaume-Uni, Airfrov à Singapore, Dacopack et Cocolis en France se sont déjà lancés sur le même segment, le modèle à destination de l’Afrique reste plutôt neuf. « Sheaply s’était lancé au Maroc, mais depuis quelques mois ils ne sont plus très actifs », dit Asma Ben Jemaa.
Et le potentiel global est important. « Les spécialistes de l’économie de partage prétendent qu’après la mobilité et le logement, la logistique sera le prochain secteur touché par cette nouvelle manière d’interagir. À l’heure actuelle, nous recensons sur notre blog près de 80 plateformes », explique David Vuylsteke, le fondateur de PiggyBee, un autre site Internet de livraison collaborative entre particuliers.
Parmi les 5 000 voyages réalisés jusqu’à présent via la plateforme (avec en moyenne deux colis transportés par voyageur), les usagers interrogés par Jeune Afrique ont l’air d’y voir une bouffée d’air.
Ici un dossier médical entre Tunis et Toulouse, là des documents de demande de visa de Nantes vers la Tunisie… tous ces envois sont acheminés par un voyageur contre une somme sur laquelle les deux parties se mettent d’accord et sur laquelle Jwebi perçoit une commission de 28 à 30%.
Jwebi veut donc constituer une option moins coûteuse et plus rapide quand, par la poste, « une lettre entre Paris et Tunis prend en moyenne une semaine et coûte entre 15 et 20 euros », raconte Asma Ben Jemaa.
De nombreuses alternatives
Les alternatives sont cependant très nombreuses. À commencer par les transporteurs de la Place Clichy ou de la Plaine-Saint-Denis, dans le nord de la capitale française, qui font du fret à bien meilleur prix vers le Maghreb. Ou alors les « GP », nom tiré des initiales de « gratuité partielle », un service rendu par des Sénégalais qui achètent autant de suppléments bagages que possible et le revendent à chaque particulier qui souhaite faire des expéditions postales à moindre coût. Sans parler des groupes Facebook dédiés comme celui de la Famille El Goumri qui compte 11 000 membres. « Mais pour les particuliers, il y a un risque que les biens n’arrivent jamais », nuance Asma Ben Jemaa.
Enfin, DHL ou Fedex sont fiables et rapides, mais hors de prix. « Pour un Paris – Tunis, il faut compter 140 euros les 20 grammes, et même plus de 200 euros pour un Paris – Yaoundé », écarte la fondatrice.
Un site taillé sur mesure pour les usages de la diaspora
Jwebi est accueilli par deux incubateurs : Bond’Innov, celui de Bondy, en Seine-Saint-Denis, qui est tourné vers l’innovation dans les pays du Sud, et Paris Pionnières, consacré quant à lui aux femmes entrepreneures. Le site a réussi à lever des prêts de Paris Initiative Entreprise (22 000 euros) et du Crédit du Nord (23 000 euros), et une subvention de la Banque publique d’investissement (30 000 euros).
Des sommes qui servent à financer une « V2 » de la plateforme, attendue en octobre 2016, et à couvrir des dépenses de développement alors que le chiffre d’affaires est pour l’heure limité à quelques milliers d’euros.
« Il nous a fallu réfléchir à adapter le modèle aux usages de la diaspora ». La jeune équipe s’est allouée les services d’un UX designer – spécialisé dans l’expérience vécue par les utilisateurs d’un produit ou d’un service – avec l’objectif de rendre les messages de chaque page beaucoup plus simples et clairs, avec de gros bouton appelant des actions simples et des blocs de questions et réponses sur chaque page.
Après janvier 2017, il faudra que la société s’assure une première levée de fonds si elle veut poursuivre son développement. L’idéal serait 500 000 euros qui lui permettraient d’embaucher cinq personnes dans le développement, le marketing, et le service après-vente. Les contacts sont à prendre.
À terme, la plateforme pourrait s’associer aux postes ou encore aux compagnies aériennes, et élargir son périmètre en Afrique et au-delà. En Asie, par exemple : un jeune homme chinois que Asma Ben Jemaa a rencontré récemment transporte contre rémunération des articles de luxe, de cosmétique ou d’habillement depuis la France – les Chinois au pays ne faisant que moyennement confiance aux articles des mêmes marques vendues sur place.
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