Croire ne dispense ni de penser ni de rire
Que dire face à une telle tragédie ? Quels mots pour parler des victimes de Charlie Hebdo, morts pour des mots, pour des dessins, pour faire rire ? Tous les discours sont indigents face à un tel cataclysme, et pourtant, il faut que l’encre coule, libre et impertinente, satirique et irrévérencieuse.
Bien sûr, comme beaucoup, j’ai peur. C’est le but et il est malheureusement atteint. Peur des amalgames qui ne manqueront pas de surgir dans une société française déjà minée par les crispations, la xénophobie et les discours haineux. Peur des apprentis sorciers et autres thuriféraires du déclin qui ne manqueront pas de nous décrire des lendemains sombres et effrayants. Peur surtout de ces barbares que rien, décidément, ne semble pouvoir arrêter et qui s’attaquent à ce que moi je considère, ne leur en déplaise, comme le plus sacré : la démocratie et la liberté. Peur, enfin, de ceux qui oseront dire, une fois le choc dissipé : "Ils l’avaient bien cherché, ces provocateurs, ces laïcards. On ne blasphème pas impunément."
>> Voir aussi : L’hommage des "caricaturisques" africains à Charlie Hebdo
Depuis des années, dans nos pays du Maghreb et dans le monde musulman, on cède du terrain à ces idées nauséabondes. On se laisse prendre en otage. Ceux qui succombent utilisent toujours les mêmes arguments : "Il ne faut pas choquer les croyants." "Il ne faut pas toucher au sacré." Il ne faut donc pas sortir le film américain Exodus de Ridley Scott au Maroc. Il ne faut pas diffuser le film iranien Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud en Tunisie. Il faut mettre en prison les dessinateurs et caricaturistes qui ont l’effronterie de se moquer du religieux.
Et l’on courbe l’échine, on baisse la tête, on accepte sans rechigner que l’on grignote notre liberté au nom du sacré et de la sécurité. Des fanatiques, des incultes, des barbares nous font oublier que croire ne dispense pas de penser ni de rire. Que prier n’exonère pas de débattre. Et que ce qui est sacré, d’un bout à l’autre du monde, c’est d’abord la vie humaine. Bien pâles les croyants qui répondent au rire par le meurtre.
Ceux qui, il y a trois ans, ont été choqués par les dessins de Charlie Hebdo – et c’est leur droit le plus fondamental – doivent aujourd’hui prendre la mesure de ce qui s’est passé. Ceux qui réfutaient alors le droit au blasphème, doivent, encore plus fermement que les autres, dénoncer ce carnage. Discutons, polémiquons, empoignons-nous et serrons-nous la main. Refusons de vivre à genoux. Les musulmans seront plus forts, l’immunité de l’islam face à la barbarie grandira avec sa capacité à débattre et à se moquer. D’Alger à Tunis, de Bamako au Caire, soyons tous Charlie, avides de rire et de liberté. Disons "dégage" à ceux qui nous intimident, à ces visages sombres et tristes que rien ne semble pouvoir dérider.
Journalistes et citoyens, responsables politiques et autorités religieuses, cessons d’avoir peur, même si nous découvrons chaque jour avec un peu plus d’acuité que c’est au péril de nos vies. Soyons à la hauteur du courage de ceux qui, nombreux, dénoncent, se battent et meurent à travers le monde, au lieu de nous plier sans cesse aux injonctions de ces malades. Ne l’oublions pas : ce sont des terroristes et ils nous ont terrorisés.
>> Lire aussi Damien Glez : "Nos crayons contre leurs kalach"
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