Terrorisme : la cible française et le sursaut national

Après l’attentat contre le journal satirique « Charlie Hebdo », l’Hexagone est sous le choc. Si le pays a déjà vécu des attaques sanglantes, il a rarement payé un tel prix. Pourquoi les jihadistes en ont-ils fait leur ennemi numéro un ? Et quelles conséquences aura ce drame sur le fragile équilibre de la société française ?

Des millions de Français ont marché dimanche 11 janvier en soutien à Charlie Hebdo. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Des millions de Français ont marché dimanche 11 janvier en soutien à Charlie Hebdo. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 19 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

Il n’existe qu’une seule image du carnage qui, le mercredi 7 janvier, a mis la France en état de choc. Mais elle est, ô combien, symbolique. Après avoir haché à la kalachnikov la conférence de rédaction de Charlie Hebdo, les frères Kouachi, auteurs présumés de la tuerie, tous deux français et musulmans, ont achevé sur le trottoir d’une balle dans la tête le policier Ahmed Merabet, lui aussi français et musulman. C’est donc du ventre d’une République qui s’est toujours voulue assimilatrice et hostile aux identités meurtrières qu’a surgi une fois de plus la bête immonde du terrorisme. On le savait. Encore faut-il le regarder en face.

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La France fournit le plus gros contingent de jihadistes d’importation à l’État Islamique

Pourquoi la France, à travers la mire idéale que constituait l’équipe iconoclaste d’un journal délibérément – et parfois inutilement – provocateur, est-elle aujourd’hui l’ennemie préférée et la cible privilégiée des assassins de l’internationale jihadiste ? Sans doute parce que, vue de Raqqa en Syrie, de Mossoul en Irak, d’Obari dans le Sud libyen ou des HLM de ces banlieues européennes de l’islam grandes productrices d’obsessions paranoïaques, elle est le maillon faible de la coalition des "mécréants".


Dilem, Algérie.

Le pays qui, en Europe, abrite la plus importante communauté musulmane et fournit le plus gros contingent de jihadistes d’importation à l’État islamique d’Al-Baghdadi, est faible à la fois politiquement – avec à sa tête un leadership qui n’a jamais été aussi contesté -, économiquement et socialement, mais aussi miné par un vrai paradoxe. Cette ancienne puissance coloniale (un passé qui ne s’efface pas) n’a en effet jamais été autant engagée à l’extérieur de ses frontières depuis la guerre d’Algérie, sur des fronts l’ennemi est toujours le même : l’islamisme radical.

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Au Mali, au Niger, au Tchad, à Djibouti, dans l’océan Indien, au sein de la coalition anti-Daesh en Irak, les militaires français affrontent le même adversaire. C’est une extension tragique de cette guerre forcément tragique qui s’est jouée le 7 janvier en plein coeur de Paris – et tout porte à croire, à commencer par la prise d’otages qui a suivi, qu’il y en aura d’autres.


Glez, Burkina Faso.

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"Frappez-les vous êtes", peut-on lire sur les sites d’organisations jihadistes, à l’intention de leurs recrues restées en France. "Que risquez-vous, si ce n’est le martyre et le paradis ? Les mécréants ne pourront rien vous faire. Faites exploser leurs têtes !" Cette hystérisation psychotique d’un conflit ardemment désiré entre la France et l’islam s’alimente dans l’Hexagone d’une islamophobie déguisée en sécularisme militant, autant qu’il la nourrit. Dans un pays morose, en proie au sentiment d’échec et en pleine séquence d’autoflagellation, les musulmans font de parfaits moutons sacrificiels.

Soumis à toutes sortes de violences symboliques, ils sont "le" problème, et ce pseudo "problème de civilisation" (Alain Finkielkraut) fait non seulement le miel du Front national, mais aussi celui d’écrivains comme Éric Zemmour et Michel Houellebecq, ainsi que les choux gras des médias. Paru le jour même du massacre des journalistes de Charlie Hebdo, Soumission, de Houellebecq – 300 pages nauséeuses sur l’islamisation rampante, puis triomphante, d’une France dans laquelle "la contemplation du cul des femmes était elle aussi devenue impossible" – a ainsi été précédé d’un battage médiatique sidérant.


Chappatte, Suisse.

Était-il responsable de faire d’un assez médiocre roman vérolé de clichés et écrit par un auteur notoirement islamophobe l’événement politique de cette première semaine de janvier 2015 ? À l’évidence non. La démocratie, c’est dire aussi que tout n’est pas possible.

Un énorme sursaut national

Il est certes trop tôt pour prévoir comment la France et sa société sortiront de ce traumatisme. Soit elles se crisperont encore plus et cette tentation du rejet et de l’exclusion feront deux gagnants : le salafisme jihadiste – qui n’attend et ne recherche que cela – et Marine Le Pen en 2017.


Thembo Kash, RD Congo.

Soit ce choc sera, passée l’émotion légitime, l’occasion pour elles de peser leur deuil à l’aune d’autres tragédies dont presque personne ici ne parle – ce même 7 janvier, un attentat attribué à Al-Qaïda a fait 40 morts au Yémen, sans compter les boucheries de Boko Haram ou l’écrasement il y a cinq mois des 1 400 civils palestiniens de la deuxième guerre de Gaza.

Furtivement entraperçu lors des rassemblements spontanés qui ont suivi le drame, un sursaut national comme ce vieux pays en est encore capable permettra-t-il de briser ce cercle infernal où la haine répond à la haine ? On voudrait le croire. Tout comme on voudrait croire que la bande à Charlie n’est pas morte pour rien.

Depuis 2006, J.A. a publié de nombreux articles sur les fameuses caricatures du Prophète parues dans le journal danois Jyllands-Posten, puis reprises et renouvelées comme un fonds de combat par Charlie Hebdo. Youssef Seddik, Malek Chebel, Régis Debray, Robert Fisk, Chedli Klibi et bien d’autres ont, dans ces colonnes, pris de façon nette les distances qu’il convenait avec la sacralisation totalitaire du tout est permis, au mépris parfois des valeurs et de la pudeur d’une communauté de croyants.

Sans jamais, pour autant, remettre en question le droit de chacun à la liberté d’expression, ni accepter qu’une religion quelle qu’elle soit puisse définir en la matière ce qui est licite, nous avions alors exprimé notre désaccord en une phrase : "Pour Al-Qaïda, chaque caricature du Prophète est un don de Dieu." Le 7 janvier à 11 h 30, le Dieu vengeur qui s’est invité à la conférence de rédaction de Charlie avait le masque de Satan.


Ali Dilem, Algérie.

>> Lire aussi : J.A. exprime sa solidarité aux victimes de l’attaque contre "Charlie Hebdo"

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