La Tunisie de « Si Béji »

ProfilAuteur_BBY
  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 16 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

Il y a quatre ans, le 14 janvier 2011, s’effondrait en Tunisie comme un château de cartes le régime dictatorial vieux de plus de vingt ans instauré par Ben Ali : quelques semaines de manifestations d’une partie des Tunisiens ont suffi pour le mettre à terre.

Mais il aura fallu quatre années pleines à la Tunisie, pays arabo-africain semi-développé de 11 millions d’habitants, pour se doter des institutions qui lui permettent d’espérer vivre désormais en démocratie.

la suite après cette publicité

*

En cette veille du 14 janvier 2015 – date symbole – sont en place et opérationnels une "Assemblée des représentants du peuple" (ARP) et un président ; l’un et l’autre ont été élus au suffrage universel et leur attelage est complété par un Premier ministre désigné, dont le gouvernement ne saurait tarder, lui aussi, à être en état de marche.

La toute nouvelle Constitution (votée le 26 janvier 2014 et promulguée le 7 février suivant) est entrée en application. Nous allons donc pouvoir vérifier si le régime parlementaire qu’elle a consacré correspond au tempérament des Tunisiens et, surtout, s’il répond à leurs besoins du moment.

Les Tunisiens ont conscience, bien sûr, que leur pays entame en ce moment même un nouveau chapitre de son histoire. Il vient de prendre, pour de bon cette fois, le chemin de la démocratie et va devoir défricher un terrain jamais exploré à ce jour : à l’ère du parti unique succède celle des partis…

la suite après cette publicité

Cela ne les effraie pas et je dirais même que cela les excite.

*

la suite après cette publicité

Dans les prochains jours, on les verra marquer leur considération et leur reconnaissance à Mehdi Jomâa, le Premier ministre qui, en 2014, a tenu le pays et organisé avec succès les élections législatives et présidentielle. Lui et son gouvernement ont rempli la mission qu’ils ont reçue et donnent le bon exemple de quitter la scène au bon moment et avec les honneurs.

Le président, Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre, Habib Essid, et leur gouvernement seront à l’oeuvre en février : la IIe République tunisienne montrera alors son vrai visage et donnera sa pleine mesure.

En regard des cinquante-trois ans de la double autocratie de Bourguiba et de Ben Ali et des quatre années qui viennent de s’écouler, le changement sera saisissant.

*

Les Tunisiens savent qu’ils ont élu en la personne de "Si Béji" leur vrai troisième président et qu’il sera différent des deux premiers.

Ceux-là, Bourguiba et Ben Ali, avaient imposé leurs noms ; on appelle celui-ci par son prénom : "Si Béji". Et l’on continuera ainsi.

Il aura été aux affaires presque sans discontinuer pendant les quarante premières années de l’indépendance et a occupé les plus hautes fonctions. C’est un homme expérimenté et habile : découvert par Bourguiba, n’est-il pas le seul homme politique à être encore en scène et en exercice près de soixante ans après ses débuts au lendemain de l’indépendance de son pays ?

Cette fonction de président à laquelle il vient d’accéder par les urnes, il l’a voulue de toutes ses forces, comme un couronnement, et il y est parvenu à un âge avancé qui, ajouté à ce que je sais de son caractère, le prémunit contre la tentation de la dictature.

*

Par son action et sa présence, "Si Béji" a déjà à son actif d’avoir barré la route du pouvoir aux islamistes tunisiens d’Ennahdha : ils ne sont plus majoritaires à l’Assemblée et risquent même de ne pas figurer au gouvernement.

Grâce au même "Si Béji" et, dans une large mesure, à leur président, Rached Ghannouchi, les islamistes tunisiens auront tout le loisir d’apprendre la démocratie, ses règles et ses limites. Mais dans l’opposition et protégés du sort funeste qu’ont connu leurs homologues égyptiens.

À l’instar du François Mitterrand qui parvint à réduire l’importance des communistes français, "Si Béji" fera en sorte que le poids des islamistes tunisiens dans l’ARP, actuellement de l’ordre de 30 %, soit ramené au niveau de leur importance dans le pays : au-dessous de 20 %.

0, 0);">*

On l’aura noté : "Si Béji" a reçu des électeurs, par la place qu’ils ont donnée à Nidaa Tounes au Parlement, le pouvoir de gouverner avec un Premier ministre qui ne soit ni le rival ni l’alter ego du président.

En bon bourguibiste, il restaurera l’autorité de l’État et l’unité de la nation. Il fera aussi le nécessaire pour s’assurer du soutien des pays frères ou amis.

Même s’il n’a pas lu Francis Fukuyama, il sait que la démocratie se construit pierre après pierre : d’abord la consolidation de l’État, ensuite le respect du droit et, en troisième lieu, la mise en place des contre-pouvoirs effectifs.

S’il réussit à ramener la sécurité et la confiance et si, avec son Premier ministre, Habib Essid, il met en place une équipe compétente et reconnue, l’économie tunisienne retrouvera, dès l’année prochaine, un taux de croissance correspondant à la moyenne africaine, soit 5 % à 6 % par an.

>> Lire aussi : Béji Caïd Essebsi, le pouvoir et le style

*

Reste l’âge du président. On en est conscient en Tunisie et l’on en parle. Il se murmure même que les islamistes prépareraient déjà "l’après-BCE".

Je pense, pour ma part, qu’on prête à ces derniers une stratégie et un machiavélisme qu’ils n’ont pas. Et que ce problème de l’âge du capitaine n’en est un que si l’on fait mine de l’ignorer.

Savez-vous que la Tunisie est le pays africain où l’âge moyen de la population est le plus élevé : 31 ans (contre 25 en Égypte, 27 en Algérie et 18 en Afrique subsaharienne) ?

La Tunisie est donc le pays d’Afrique le plus mûr et celui où le président est le plus âgé.

Il faut le savoir, en tenir compte et "faire avec".

>> Lire aussi : vieillesse et pouvoir, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’âge des chefs d’État africains

*

Ce président qui accède à la magistrature suprême à l’âge où, en général, on s’en retire, rendrait le plus grand service à son pays, à lui-même et aux siens, s’il se mettait en tête et se donnait pour objectif stratégique de faire ce que ni Bourguiba ni Ben Ali n’ont su ou voulu faire : quitter le pouvoir, volontairement avant la fin de son mandat, au moment qu’il aura choisi et après avoir préparé sa succession.

Dans le monde arabe, jamais personne ne s’y est résolu. Mais en Afrique deux très grands hommes ont trouvé en eux la force et la sagesse de le faire : Léopold Sédar Senghor et Nelson Mandela. Je précise que leur entourage immédiat à l’un et à l’autre les y a encouragés.

"Si Béji" voudra-t-il et pourra-t-il être le troisième ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires