Nigeria : Boko Haram, récit de trois jours de massacres
Des tirs, des hurlements, puis une fuite nocturne à travers la brousse jonchée de cadavres. Yanaye Grema est resté terré trois jours pendant que les combattants de Boko Haram ravageaient sa ville de Baga sur les rives nigérianes du lac Tchad.
Samedi 3 janvier, la milice d’autodéfense de ce pêcheur de 38 ans venait d’être défaite par la puissance de feu du groupe islamiste, lancé dans une vaste et sanglante offensive contre plusieurs localités de l’extrême nord-est du Nigeria.
Caché entre un mur et la maison de son voisin, protégé par le feuillage d’un margousier, Yanaye Grema écoutait le massacre se dérouler autour de lui.
"Tout ce que j’entendais c’était des tirs d’armes à feu, des explosions, des hurlements, et les +Allah Akbar+ des combattants de Boko Haram", raconte-t-il à l’AFP par téléphone depuis Maiduguri.
"Chaque nuit j’escaladais la palissade de ma maison pour avaler rapidement des graines de manioc, boire de l’eau, et ensuite je retournais dans ma cachette".
"Certains hommes de Boko Haram campaient près du marché principal de Baga, à quelque 700 mètres à peine de ma cachette", explique-t-il. "La nuit je pouvais voir la lumière de leur générateur. J’entendais aussi des acclamations et des rires."
Le lundi, le nombre de combattants en patrouille a diminué. La ville n’était plus aussi quadrillée, offrant au pêcheur une fenêtre d’évasion.
"Le mardi, ils ont commencé à piller le marché et toutes les maisons de la ville. Vers 18 heures (17H00 GMT) ils ont mis le feu au marché et ont commencé à incendier des maisons. J’ai décidé qu’il était temps de partir avant qu’ils ne se dirigent dans ma direction."
"Vers 19h30, je me suis hasardé hors de ma cachette et j’ai commencé à partir dans la direction opposée au bruit des islamistes. Il faisait sombre, donc personne ne pouvait me voir."
– Des cadavres sur des kilomètres –
Ce n’est qu’en quittant sa cachette que le pêcheur réalise l’ampleur de l’offensive, qui pourrait s’avérer l’une des plus meurtrières de Boko Haram en six années d’insurrection.
"Sur cinq km, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres, jusqu’à ce que j’arrive au village de Malam Karanti, qui était également désert et brûlé."
Des officiels ont affirmé cette semaine que l’attaque avait forcé près de 20.000 personnes de Baga et des localités près du lac Tchad à prendre la fuite, certains traversant même la frontière tchadienne.
L’attaque de la semaine dernière n’était pas la première à viser Baga. Près de 200 personnes y avaient été tuées en avril 2013. Des combattants de Boko Haram avaient attaqué la ville, l’incendiant en grande partie, ce qui avait provoqué une violente confrontation avec l’armée nigériane.
Cette fois, les islamistes ont rencontré moins de résistance et sont parvenus à prendre le contrôle de la ville ainsi que de la base de la Force multinationale (MNJTF), censée regrouper des soldats nigérians, nigériens et tchadiens dans la lutte contre Boko Haram –mais où ne se trouvaient que des troupes nigérianes au moment de l’attaque.
Au moins 16 villes et villages de la zone ont été rasés.
Les analystes estiment que l’offensive du week-end dernière visait les milices d’autodéfense assistant l’armée dans sa contre-insurrection.
– ‘son conseil m’a sauvé la vie’ –
Dans la brousse, Yanaye rencontre un vieux berger peul, qui lui conseille de se diriger vers l’ouest afin d’éviter les bandes de Boko Haram. Accélérant le rythme, il rattrape vite un groupe de quatre femmes, fuyardes également. L’une d’elles transporte sur son dos un bébé.
"Elles m’ont dit qu’elles avaient fait partie de centaines de femmes arrêtées par Boko Haram et retenues dans la maison d’un chef de district, que Boko Haram avait converti en centre de détention pour femmes."
Trois de ces femmes avaient été séparées de leurs enfants, selon lui.
Les femmes étant "trop lentes", il a donc continué seul. Marchant et courant durant toute la nuit, il arrive le mercredi matin au village de Kekeno, à quelque 65 km de son point de départ. Le lendemain, il prend un bus jusqu’à la ville de Maiduguri.
"Je serai toujours reconnaissant à ce vieux peul, son conseil m’a sauvé la vie", dit-il.
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