Pourquoi Glencore a-t-il mauvaise réputation ?

Relations controversées avec les États, accusations d’évasion fiscale, partenaires sulfureux… Le géant suisse n’est pas épargné par les critiques… Rien ne semble pourtant le priver du soutien des marchés.

Géant du négoce, Glencore a réalisé un chiffre d’affaires de 239,5 milliards de dollars en 2013. © Reuters

Géant du négoce, Glencore a réalisé un chiffre d’affaires de 239,5 milliards de dollars en 2013. © Reuters

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Publié le 4 février 2015 Lecture : 8 minutes.

Le site d’extraction de charbon de Moatize, au Mozambique, géré par le géant brésilien Vale. © Marcelo Coehlo
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Mines : c’est le moment d’acheter !

Bien que les cours de nombreux minerais soient en chute libre, les majors continuent d’investir dans des mégaprojets. Et de nouveaux investisseurs, notamment indiens, sont en chasse pour rafler des gisements à bas coût. Panorama d’un paysage minier africain en plein bouleversement, mais pas si mal en point.

Sommaire

Mis à jour le 06/02/2015, à 17H49 CET.

Ne cherchez pas une quelconque évocation de Marc Rich sur le site internet de Glencore. Les communicants du géant du négoce et des mines, qui a réalisé 239,5 milliards de dollars (174 milliards d’euros) de chiffre d’affaires en 2013, ont pris soin de faire l’impasse sur son fondateur controversé. C’est pourtant cet homme d’affaires qui a créé Glencore en 1974 (alors appelé Marc Rich & Co), marquant toute une génération de traders dans le secteur des matières premières. Décédé en juin 2013, il cumulait les nationalités américaine, espagnole, belge, israélienne et suisse.

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« Marc Rich est une légende dans le milieu des négociants. Pour beaucoup, il est même le fondateur du marché libre du pétrole, jadis dominé par les « sept soeurs » [les majors pétrolières américaines et européennes]. Par ses opérations, il a cassé leur cartel. Et il en a fait de même pour d’autres marchés de matières premières, dont celui du cuivre. C’est l’inventeur de nouvelles méthodes pour contourner les règles en vigueur sur les marchés, comme les prêts à des gouvernements gagés sur des ressources pétrolières et minières futures », égrène Marc Guéniat, responsable d’enquête à l’ONG suisse La Déclaration de Berne, qui travaille sur les questions de transparence du secteur du négoce. « Il a été le champion de la prise de risque politique, avec des transactions dans des pays en guerre ou sous blocus, générant de gros retours sur investissements », ajoute-t-il.

>>> Lire aussi : Le pétrole africain, ce business suisse

Glencore mines JA2820p076 infoPour bâtir Glencore, Marc Rich, condamné aux États-Unis pour violation de l’embargo sur le commerce avec l’Iran avant d’être gracié en 2001 par Bill Clinton, s’était installé à Baar dans le discret canton suisse de Zoug, fiscalement très accueillant. De là, il a créé un empire aux ramifications mondiales, empire qui tenait, à la mi-2011, au moment de son entrée en Bourse à Londres, 50 % du marché mondial du cuivre, 38 % de celui de l’alumine et 45 % de celui du plomb.

Pour en arriver là, Rich avait recruté une série de traders aussi habiles et « risqueurs » que lui, surnommés les Rich Boys. Parmi eux, une poignée de Sud-Africains dont Ivan Glasenberg, l’actuel patron de Glencore, mais aussi quelques Français, et en particulier Claude Dauphin et Éric de Turckheim, qui ont par la suite créé Trafigura, un autre grand du négoce.

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Dans les années 1980, la filiale sud-africaine de Glencore était la plus rentable du groupe, achetant du pétrole pour un montant estimé à 2 milliards de dollars, alors que l’Afrique du Sud était mise au ban de la communauté internationale en raison de l’apartheid. Ailleurs sur le continent, Glencore a été très actif dès ses débuts en RD Congo sous le règne de Mobutu Sese Seko, avec lequel les traders du groupe entretenaient des liens étroits.

Héritage

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Si les dirigeants actuels de Glencore jettent un voile pudique sur leur passé, alors qu’ils ont été repérés, adoubés et formés par Marc Rich, c’est qu’aujourd’hui leur réputation est autrement plus importante pour la bonne marche de leurs affaires. Charles Watenphul, le porte-parole de Glencore, estime que l’héritage de Marc Rich, qui a quitté l’entreprise en 1993, s’est dissous avec l’expansion de la compagnie et sa diversification.

Les dirigeants actuels de Glencore jettent un voile pudique sur leur passé… C’est qu’aujourd’hui leur réputation est autrement plus importante pour la bonne marche de leurs affaires.

Selon lui, parmi les 200 000 salariés du groupe, il ne reste que quelques cadres de l’époque du fondateur, parmi lesquels Ivan Glasenberg, l’actuel directeur général.

>>>> « Glenstrata » ou la méthode Glasenberg

L’entreprise est cotée à Londres depuis 2011… après trente-sept ans d’existence hors de la Bourse. Son absorption fin 2013 du groupe minier suisse Xstrata – pour 46 milliards de dollars -, très présent dans le cuivre et le fer sur le continent africain (en RD Congo et en Mauritanie notamment), l’a fait entrer dans l’indice FTSE des 100 premières valeurs de la Place de Londres et a renforcé son poids sur les marchés… suscitant l’attention des ONG et celle des médias.

Suite à cette opération, le groupe dispose d’une capitalisation boursière de 70 milliards de dollars, dont 37 milliards de dollars flottants, le reste étant détenu par ses 480 salariés-actionnaires, dont la fidélité est récompensée par une distribution généreuse de dividendes (182 millions de dollars pour le seul Ivan Glasenberg en 2013).

>>>> Pour aller plus loin – Glencore-Xstrata : un géant suisse voit le jour

Le géant, qui avait placé le secret et la discrétion au coeur de sa culture d’entreprise, est aujourd’hui sous les feux des projecteurs. Au-delà de son histoire – qu’il lui faut pourtant assumer -, Glencore est mis à l’index pour deux dérives majeures qui perdureraient, héritage de la culture d’entreprise laissée par Marc Rich : l’évasion fiscale et les liens d’affaires avec des partenaires controversés. Et c’est sur le continent qu’elles ont été le plus dénoncées.

En Zambie, une coalition d’ONG a mis au jour, en 2011, un système de facturation de faux frais – de 361,5 millions de dollars – sur les exploitations de la ceinture de cuivre de Glencore, permettant de réduire artificiellement les profits et d’éviter de payer des taxes sur les bénéfices. Quelque 150 millions de dollars d’impôts et de taxes auraient ainsi été perdus pour la Zambie, d’après un rapport du cabinet d’audit Grant Thornton, missionné par l’État zambien. Un chiffre contesté par Glencore, qui annonce avoir payé 800 millions de dollars de taxes et de royalties à l’État depuis 2000.

Mauvaise réputation ou pas, Glencore a conservé le soutien de la City et de ses banquiers.

Reste que le taux d’imposition fiscale de Glencore à l’échelle mondiale n’est que de 20 %, quand il s’élève à 33 % en moyenne pour les entreprises du secteur extractif.

« Dans toutes ses opérations à l’étranger, Glencore a recours à des filiales dans les paradis fiscaux, ce qui lui permet, par un jeu de refacturations entre ses différentes entités, de limiter ses paiements de taxes et de royalties », estime Marc Guéniat, pour qui Glencore n’est certainement pas le seul groupe minier à utiliser ce système, mais, selon lui, « a été pionnier en la matière du temps de Marc Rich. Aujourd’hui, du fait de l’absorption de Xstrata, il est le groupe spécialisé dans les matières premières le plus intégré et celui qui peut pousser ces logiques d’évasion fiscale le plus loin ».

Autre interrogation éthique vis-à-vis de Glencore : sa manière de s’assurer les bonnes grâces des gouvernements et son lien avec le sulfureux Dan Gertler en RD Congo. Ce proche décrié du président Joseph Kabila a acquis à des prix dérisoires plusieurs concessions minières, avant de s’associer à Glencore et à ENRC (autre société controversée, d’origine kazakhe), empochant au passage une plus-value estimée à 1,3 milliard de dollars par l’ONG Global Witness. Grâce à cet homme d’affaires israélien, le groupe suisse est actionnaire majoritaire et opérateur des gisements de Kamoto, de Kansuki et de Mutanda, dans la ceinture de cuivre congolaise. Pour sa défense, celui-ci affirme avoir été le seul groupe d’envergure prêt à relancer ces exploitations. Mais cette association avec Gertler fait tache.

Marc Rich et Ivan Glasenberg

Marc Rich : le père fondateur

En créant Marc Rich & Co en 1974, l’homme d’affaires a immédiatement choisi la Suisse pour des raisons fiscales et judiciaires. En 1993, il perd le contrôle de l’entreprise. Le géant change de nom pour devenir Glencore. Devenu l’un des dix fugitifs les plus recherchés par le FBI en raison d’une violation de l’embargo sur l’Iran, il est gracié en 2001. Il décède le 26 juin 2013.

Ivan Glasenberg : le fils spirituel

Ce Sud-Africain a grandi à Johannesburg et fait ses études à la prestigieuse université du Witswatersrand. Il a fait partie des Rich Boys repérés par le fondateur de Glencore, où il est entré en 1984. Après l’éviction de Marc Rich, il a pris la tête de l’entreprise en 2002. C’est lui qui a été l’artisan de la fusion avec Xstrata, finalisée en 2013.

Glencore fournit aussi aux États toutes sortes de services en sus de ses activités traditionnelles. Au Tchad, il est ainsi devenu, en juin 2014, le banquier de l’État, acceptant de lui prêter 1,3 milliard de dollars pour lui permettre de reprendre les parts de Chevron dans le projet pétrolier de Doba. Cette somme faramineuse sera remboursée à Glencore sur la production pétrolière future du pays. Une manière pour lui de s’assurer le monopole du négoce du pétrole tchadien… et d’être en pole position sur les futures concessions minières.

Dichotomie

« Du fait de la cotation, il est possible d’interpeller Glencore dans les assemblées générales sur ces questions éthiques, mais de là à forcer [la firme] à changer de méthodes, il y a un grand pas », estime Marc Guéniat.

>>>> Marc Guéniat : « Le modèle d’affaires des négociants repose sur le secret »

« Les réglementations européennes et britanniques sont plus centrées sur les industries extractives que sur le négoce, qui reste la principale activité de Glencore, et en Suisse, même si le grand public et les politiques commencent à connaître le nom de cette entreprise, il y a une dichotomie entre les diplomaties économiques et politiques », conclut-il, dénonçant à demi-mot les projets d’exploration pétrolière de la firme lancés au large des côtes du Sahara occidental en 2013 et en 2014 (blocs offshore à Foum Ognit et à Boujdour Shallow), une région que la Suisse ne reconnaît pas comme un territoire marocain.

De fait, mauvaise réputation ou pas, elle a conservé le soutien de la City et de ses banquiers, qui approuvent sa fusion avec Xstrata. Début janvier, la plupart des analystes boursiers conseillaient aux investisseurs d’acheter des actions de Glencore, escomptant une augmentation de 30 % de l’action d’ici à avril 2015.

>>> Lire également : Commodités – Les rois du négoce étendent leur toile

Glencore répond

A la suite de la publication de cet article, Glencore nous a envoyé le texte suivant :
 » Glencore regrette que sa réputation soit attaquée alors que son implication sur le continent africain est très importante. La société emploie 80 000 salariés sur le continent africain (sur 200 000 au total), et veut travailler dans la transparence avec les populations et les gouvernements des pays où elle intervient.
En 2013, au niveau mondial, le groupe a payé 3,7 milliards de royalties et taxes, et des salaires représentant au total 4,3 milliards de dollars pour 200 000 employés et contractants.
Par ailleurs, la société a investi 170 millions de dollars dans des projets sociaux, notamment dans la santé et l’éducation. Le groupe indique également que sa mine zambienne de Mopani a obtenu le « prix de l’Initiative zambienne pour la transparence des industries extractives 2013″, décerné par le gouvernement en mars 2014. »

 

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