Sénégal : le jour où le procès de Karim Wade a dérapé

Du palais de justice de Dakar à la permanence du Parti démocratique sénégalais (PDS), une succession d’incidents violents ont opposé, mercredi, les partisans de Karim Wade aux magistrats et aux forces de l’ordre.

Manifestation pour la libération de Karim Wade en octobre 2013 à Dakar. © AFP

Manifestation pour la libération de Karim Wade en octobre 2013 à Dakar. © AFP

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Publié le 15 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

La journée de mercredi 14 janvier s’est déroulée sous haute tension, à Dakar, entre les sympathisants de Karim Wade et les représentants de l’État sénégalais. En fin de matinée, au cours de l’audience devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), une passe d’armes entre le président Henri Grégoire Diop et l’avocat El Hadj Amadou Sall, ancien ministre de la Justice et défenseur du prévenu, va provoquer une réaction en chaîne.

Tandis que Me Sall interroge l’ancien directeur général de la Sénélec, Seydina Kane, le président de la Cour montre des signes d’impatience. À ses yeux, l’interrogatoire du témoin s’écarte du cœur du dossier. "Laissez-moi faire mon travail", s’agace l’avocat, qui s’attire cette répartie du magistrat : "Dans tous les cas, on connaît les bons avocats et les mauvais." La surenchère se poursuit avec cette réplique d’Amadou Sall : "Et nous, on reconnaît un bon juge d’un mauvais."

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Le président Diop prend la mouche. Plutôt que de priver l’avocat de parole ou d’interdire au témoin de répondre, il opte pour la manière forte et ordonne l’expulsion manu militari de Me Sall. Tandis que le public gronde, l’ensemble des avocats de Karim Wade, en signe de solidarité, décide de quitter la salle. À la reprise de l’audience, à 15 heures, le fils de l’ancien chef de l’État se retrouve donc sans défenseur.

Entorse au genou droit

Depuis la cave du tribunal, où il passe les interruptions d’audience, celui-ci décide alors de boycotter le procès tant qu’il n’aura pas d’avocat. Mais les éléments pénitentiaires d’intervention (EPI) ont manifestement reçu la consigne de le faire comparaître coûte que coûte. Karim Wade est donc menotté et amené de force jusque dans le box des prévenus. D’après plusieurs témoins présents, et selon les déclarations que Karim Wade fera à la barre par la suite, les pandores seraient allés jusqu’à le plaquer au sol après avoir provoqué sa chute. "Je me suis fait tabasser. On m’a fait tomber par terre en me tapant dans le genou." Selon l’un de ses avocats, Me Seydou Diagne, il a été conduit le soir même à l’hôpital principal de Dakar pour effectuer une radio. Une entorse du genou droit a été diagnostiquée.

Je me suis fait tabasser. On m’a fait tomber par terre en me tapant dans le genou, assure Karim Wade.

Un peu plus tard dans l’après-midi, tandis que les avocats de Karim Wade prenaient leur plume pour saisir le bâtonnier de leur ordre de l’incident du matin, un troisième dérapage allait survenir à la permanence nationale du Parti démocratique sénégalais (PDS), où un comité directeur avait été convoqué pour 18 heures.

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Aux alentours de 16 heures, quelques jeunes sympathisants de Karim Wade, qui venaient d’apprendre que ce dernier avait été malmené au tribunal, ont manifesté leur colère devant l’entrée du siège du parti, en bordure de la VDN, une voie rapide qui traverse la capitale. Selon Mamadou Mbengue, permanent national adjoint en charge de la jeunesse du parti libéral, "ils ont mis le feu à des pneus et ont bloqué la circulation sur la VDN".

Très vite, selon plusieurs témoins des faits, les forces de l’ordre arrivent sur les lieux et lancent des grenades lacrymogènes sur les quelques manifestants, afin de les disperser. "Plusieurs d’entre eux sont venus se réfugier dans l’enceinte de la permanence, précise Mamadou Mbengue. C’est à ce moment-là que les gendarmes nous ont pris pour cible."

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Tirs à balles réelles ?

Massées derrière les grilles qui donnent sur le parking du PDS, les forces d’intervention n’ont pas pénétré dans les lieux, selon les témoins. Mais elle auraient visé le bâtiment avec des fusils lance-grenades lacrymogènes. Sur place, au lendemain de l’échauffourée, Jeune Afrique a pu constater plusieurs larges impacts dans des vitres du rez-de-chaussée et du premier étage. À lui seul, le bureau de Karamo Diamé, assistant administratif, a été touché à trois reprises. "La première grenade est passée à quelques centimètres de ma tête", témoigne l’intéressé.

Les références de nombreux fragments retrouvés sur place correspondent bien à celles de grenades lacrymogènes. Un constat d’huissier a été dressé aussitôt et le comité directeur du PDS, qui s’est réuni dans la foulée, a annoncé son intention de porter plainte "contre l’État et contre X pour destruction et saccage de biens appartenant à autrui et tentatives multiples d’assassinats", même si l’usage de "balles réelles", évoqué dans son communiqué, ne semble pas confirmé pour l’heure. Le parti d’Abdoulaye Wade a par ailleurs annoncé son intention d’organiser des manifestations la semaine prochaine pour dénoncer les "graves dérives du régime".

Jeudi matin, les audiences devant la CREI ont repris en l’absence de l’ensemble des avocats de la défense. En solidarité avec leur confrère Amadou Sall, les défenseurs de tous les autres prévenus ont en effet boycotté l’audience, que le président Diop n’a pas souhaité reporter pour autant. "Expulser un avocat de l’audience est une mesure inacceptable", s’indigne ainsi l’un des avocats d’Ibrahim Aboukhalil (alias Bibo Bourgi), qui dénonce une grave entrave aux droits de la défense. Pour tenter de canaliser l’incendie, le bâtonnier de l’ordre des avocats devait s’entretenir avec le président de la CREI ce jeudi à 13 heures GMT.

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Mehdi Ba, à Dakar

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