L’attentat contre « Charlie Hebdo » et l’urgence d’un réformisme musulman
Asma Lamrabet est médecin biologiste hospitalier au CHU Avicenne de Rabat, et directrice du Centre d’études féminines en islam de la Rabita al Muhammadia des oulémas du Maroc.
L’attentat meurtrier contre "Charlie hebdo" est effroyable, dramatique et à tous les points de vue, profondément condamnable.
Il est très difficile pour les musulmans – de foi ou de culture – de ne pas se sentir concernés et consternés – plus que quiconque – par ces actes odieux… En effet et même s’ils ont été perpétrés au nom d’une idéologie aux antipodes de l’éthique de l’islam, il n’en reste pas moins que la revendication religieuse de leurs auteurs reste très éprouvante pour la conscience de la majorité des musulmans, qui n’aspire au fond qu’à une chose : vivre en paix avec les autres et avec eux-mêmes.
Difficile de répondre à chaud à des évènements aussi complexes que ceux qu’a connus la France ces derniers jours. Difficile et délicat, car au-delà de l’atrocité de ce crime et de la mort d’innocents il y a aussi l’imbrication de nombreux facteurs, dont l’obsession et "spécificité" française envers l’islam, la vulnérabilité d’une communauté musulmane à fleur de peau et les dégâts engendrés par la discrimination sociale, l’exclusion et le mal-être social d’une grande frange de la population française.
Il n’en reste pas moins que la question centrale qui reste à débattre aujourd’hui est celle de la lecture religieuse qui cautionne ce genre de violence. Cette "violence jihadiste", comme certains la surnomment, est-elle inhérente à l’islam en tant que religion ou bien est ce plutôt le produit d’une idéologie extrémiste qui instrumentalise volontairement le religieux ?
Il est évident que l’islam, comme toutes les autres religions, renferme certains passages à visée conjoncturelle qui, compris au premier degré et littéralement peuvent être à l’origine d’une interprétation erronée et d’une instrumentalisation par les radicaux.
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Au-delà des discours réactionnels et apologétiques qui n’apportent aucune réponse effective, il est important aujourd’hui de répondre clairement à ces questionnements qui restent de l’ordre du tabou au sein de la majorité des pays musulmans. Or, c’est bien à partir d’un discours islamiste littéraliste et qui refuse toute idée de renouveau que l’idéologie extrémiste puise sa force et sa matière première afin d’endoctriner avec un langage religieusement élaboré les plus vulnérables…
Priéres durant le ramadan de 2008, à la sortie de la Mosquée Al Andalous de Casablanca. © Alexandre Dupeyron pour J.A.
Il faut aussi le dire clairement, le discours islamiste qui est aujourd’hui majoritairement diffusé à travers les chaînes de télévision et sur internet (sans virgule) provient de l’idéologie wahhabite qui, grâce aux grands moyens dont elle dispose, distille sa pensée, ses dogmes et son discours de haine et de violence symbolique à travers le monde à des milliers de personnes fragilisées par la perte de valeurs, le vide spirituel et, surtout, l’inculture religieuse.
Il faudrait savoir reconnaître aujourd’hui que la grande impasse du monde musulman est celle de sa pensée sclérosée barricadée derrière la citadelle de l’identitaire et de la hantise d’une aliénation occidentale inculpée de tous les maux…
Malgré le travail d’un bon nombre de réformistes musulmans qui appellent à une relecture des Textes scripturaires de l’islam, leur pensée est largement marginalisée, voire combattue, sur tous les fronts…Et ce aussi bien par les différents pouvoirs politiques en quête d’une légitimité toujours perdue, que par l’élite des théologiens musulmans trop occupés à préserver leur pouvoir, que par un monde occidental tout autant préoccupé par ses propres intérêts géostratégiques.
Or, aujourd’hui la grande problématique du monde musulman c’est ce refus presque structurel à toute lecture réformiste de la tradition islamique.
Il faudrait savoir reconnaître aujourd’hui que la grande impasse du monde musulman est celle de sa pensée sclérosée barricadée derrière la citadelle de l’identitaire et de la hantise d’une aliénation occidentale inculpée de tous les maux…
Il est urgent aujourd’hui de débattre, au sein d’un monde arabo-musulman malade de ses propres dérives politiques, de toutes ces questions qui fâchent. Notamment celles d’une éducation et de l’enseignement du religieux où la pensée critique, le droit au questionnement et à la liberté d’expression sont de l’ordre de l’interdit absolu.
Seule une lecture réformiste, pragmatique et élaborée de l’intérieur du référentiel religieux musulman est à même de nous sortir de nos impasses actuelles et de déconstruire ces impensés qui nous emprisonnent dans cette récurrente émotivité et cette incohérence intellectuelle.
Il s’agit à travers ce réformisme religieux de retrouver le message originel, ouvert et libérateur d’un islam compatible avec les valeurs universelles et avec une modernité éthique et spirituelle.
C’est notre seule arme contre ceux pour qui la religion n’est que violence et haine…
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