Il n’y a pas que le nombre de ministres qui compte…
L’édito « Gouvernements triple XL » de François Soudan publié le 15 septembre 2015, pose plusieurs questions intéressantes sur les dimensions extraordinaires des gouvernements d’Afrique francophone et de Guinée équatoriale.
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Eric Tevoedjre
Eric Tevoedjre est titulaire d’un Ph.D. en Sciences politiques de l’Université Johns Hopkins. Il est chercheur au Centre panafricain de prospective sociale (Bénin).
Publié le 1 septembre 2016 Lecture : 5 minutes.
Le nombre de ministres dépend-il de la population ?
La mise en rapport, par François Soudan, d’une part du nombre de ministres d’un gouvernement et, d’autre part, de la population d’un pays, ne me paraît pas utile, essentiellement parce qu’il n’y a là aucun lien de cause à effet : le ministère assure une fonction précise au bénéfice d’une population donnée, que celle-ci compte 800 000 individus ou huit millions.
On peut, bien sûr, admettre qu’en Afrique francophone la gouvernance au sommet de l’État se négocie d’abord à travers le prisme de l’ethno-clientélisme. Le problème principal du chef de l’État devient donc, comme M. Soudan le dit fort bien : « Rassembler pour pouvoir ensuite redistribuer le moins inéquitablement possible ». Dans ces espaces particuliers, l’État ou le pouvoir sont le patrimoine d’un clan, d’une famille.
Du « triple XL » français
Sans qu’on puisse les comparer aux excès de la Guinée-équatoriale ou à ceux du Cameroun, plusieurs gouvernements français ont étonné, soit par le nombre important de ministres qu’ils comportaient, soit par un apparent « souci » d’originalité, bien difficile à comprendre.
J’appelle « souci » d’originalité, la tendance à créer puis à détruire, en peu de temps, une structure gouvernementale dont on s’est aperçu de l’inutilité. À la suite de la France, plusieurs pays africains ont adopté ce style qui ne fait qu’alourdir la nomenclature gouvernementale, rendant sans doute l’ensemble bien moins efficace ; quelques exemples français :
- le ministère du Temps libre [mai 1981 – avril 1983]
- le ministère de la Solidarité entre les générations [17 mai 1995 – 7 novembre 1995]
- le ministère de la Réussite éducative [16 mai 2012 – 31 mars 2014]
- le ministère du Redressement productif [16 mai 2012 – 25 août 2014]
En Afrique, le gouvernement de la République démocratique du Congo a « inventé » un ministère d’Initiation à la nouvelle citoyenneté
En Afrique, le gouvernement de la République démocratique du Congo a « inventé » un ministère d’Initiation à la nouvelle citoyenneté et un autre intitulé ministère du Plan et Révolution de la Modernité. Le Bénin de Boni Yayi a eu son ministère des Affaires présidentielles et un ministère de Lutte contre l’érosion côtière (à croire que le ministère béninois de l’Environnement fut temporairement dans l’incapacité absolue de s’occuper de ce problème).
En mars 2016, le député Roger-Gérard Schwartzenberg a déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale française, « relative à l’organisation du gouvernement et au statut de ses membres ». M. Schwartzenberg y dénonce « la tendance au surdimensionnement » des équipes gouvernementales françaises, expliquant que, depuis 1987, sept gouvernements français ont compté plus de quarante membres (jusqu’à quarante-neuf membres) et neuf, y compris le gouvernement Valls, ont dépassé les trente membres.
La presse de l’Hexagone condamne d’ailleurs régulièrement l’absence de cohérence entre la gouvernance telle qu’elle devrait être, c’est-à-dire basée sur les principes de nécessité et de subsidiarité, et la gouvernance actuelle, qui souffre d’un certain déficit démocratique, tant est patente l’impuissance du peuple face à la toute puissance du pouvoir discrétionnaire de l’Exécutif : « Pourquoi la gauche aime les gouvernements pléthoriques » ; « La France a deux fois plus de ministres que l’Allemagne » ; « Des ministères inutiles » ; «Peut-on assurer pour autant que la France est mieux gérée que ses voisins ? »
Réduire les effets du pouvoir discrétionnaire
Au-delà de la question des dimensions d’un gouvernement, africain ou pas, le problème de fond qu’expose M. Soudan est ainsi formulé : « Dans le choix d’un ministre, le critère de compétence importe peu ».
Quel mécanisme pourrait donc permettre de révéler la compétence ou la probité a priori ?
Quel mécanisme pourrait donc permettre de révéler la compétence ou la probité a priori ? Le peuple a-t-il son mot à dire dans le processus de désignation des ministres de la République ? Ces questions sont sans doute celles du défi d’une ère nouvelle pour l’Afrique : celle du passage d’une administration à tendance patrimoniale à une administration plus moderne fondée sur la démocratie participative.
Le gouvernement des États-Unis compte aujourd’hui seize ministres. Dans ce pays, aucune personnalité désignée pour être ministre ne peut exercer son mandat si le Sénat ne l’y a pas formellement autorisé. Le président désigne la personne de son choix ; cette nomination doit être validée par le Sénat qui interroge le candidat-ministre afin de se convaincre qu’il a la compétence et le niveau de probité requis pour servir la République. Le Sénat a le pouvoir de rejeter le choix du président américain.
Identifier les meilleurs candidats aux fonctions gouvernementales
Comment mettre en place, en France comme en Afrique francophone, un mécanisme indépendant permettant d’identifier les meilleurs candidats aux fonctions gouvernementales ? Si la tâche paraît aujourd’hui considérable, nombreux sont les avantages. Prenons l’exemple d’un scandale récent qui a fait vaciller la République française : le scandale Cahuzac.
L’article 8 de la Constitution de la Ve République prévoit que l’Éxécutif (le président de la République et son Premier ministre) choisit seul les ministres du gouvernement. Ceux-ci entrent immédiatement en fonction, sans faire l’objet d’une enquête préliminaire indépendante, parlementaire ou autre.
Si la tâche paraît aujourd’hui considérable, nombreux sont les avantages
Or, de décembre 2012 à mars 2013, le gouvernement du Premier ministre Jean-Marc Ayrault a dû gérer une situation de crise particulièrement grave : un ministre, Jérôme Cahuzac, est accusé par un organe de presse de détenir illégalement un compte bancaire en Suisse. M. Cahuzac dément, porte plainte contre le journal… avant d’avouer, trois mois plus tard, qu’il avait menti et possédait bien ce compte bancaire non déclaré, à l’étranger.
Un protocole d’enquête « à l’américaine » aurait probablement permis d’éviter ce scandale ou, du moins (si la personne désignée avait passé son examen avec succès), d’en atténuer les effets sur le gouvernement Ayrault et le président de la République.
Bien qu’il soit plus long et sans doute plus compliqué que le système actuel, qui accorde au président un pouvoir discrétionnaire en la matière, ce mécanisme présente un double avantage : d’abord parce qu’il accorde un surcroît de légitimité à la personnalité désignée par le président de la République pour diriger un ministère ; ensuite parce qu’il devrait avoir pour effet de réduire considérablement le nombre de remaniements ministériels et sans doute le nombre de ministères dans un gouvernement.
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