De Mandela à Kodjo, le bal des facilitateurs en RD Congo
Avant Edem Kodjo, facilitateur de l’Union africaine pour le dialogue politique en cours en RD Congo, plusieurs personnalités sont venues, ces deux dernières décennies, à la rescousse du pays. Objectifs : aider la RDC à sortir d’une crise politique ou sécuritaire. Retour dans le temps.
Mandela, entre Mobutu et Kabila
1996. Le Zaïre connaît sa « première guerre de libération ». Partis de l’est du pays, avec le soutien des armées rwandaises et ougandaises, les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) marchent vers Kinshasa. À leur passage, des villes tombent les unes après les autres sous leur contrôle : Goma, Bukavu, Kisangani, Lubumbashi, … En face, l’armée zaïroise bat en retraite. L’appui des mercenaires étrangers ne change rien sur le terrain.
Le 4 mai 1997, Nelson Mandela qui s’est proposé comme facilitateur de la crise, parvient à réunir autour d’une même table le président Mobutu Sese Seko, affaibli par la maladie, et Laurent-Désiré Kabila, le chef rebelle. Une « rencontre de la dernière chance » à bord du navire sud-africain Outeniqua au large du port congolais de Pointe-Noire. Mais le succès n’est pas au rendez-vous.
https://www.youtube.com/watch?v=Q4pbXoV2EzY&feature=youtu.be&t=51m4s
« Mandela voulait obtenir une sortie honorable pour Mobutu envers qui il se sentait toujours redevable, le président zaïrois ayant été l’un de grands sponsors de l’ANC [Congrès national africain] lorsque Madiba était en détention », explique le professeur Bob Kabamba, professeur à l’Université de Liège et coordonnateur de la cellule d’appui politologique en Afrique centrale.
« Mobutu fut l’un des dirigeants qui avaient impulsé la politique de sanctions contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Pour le remercier, Mandela avait même réservé au Zaïre l’un de ses premiers voyages après sa libération. Il avait été reçu à Goma par le président Mobutu en 1990 », rappelle le politologue.
Chiluba à la manœuvre
Une année après la chute de Mobutu, le pays plonge de nouveau dans une guerre. Des groupes armés, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba en tête, occupent une grande partie de l’est et du nord de la RD Congo. Et sont soutenus militairement par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi alors que les forces angolaises, zimbabwéennes et namibiennes, voire tchadiennes, sont venues à la rescousse de l’armée congolaise.
Non impliqué dans cette crise qui embrasse la région, Frederick Chiluba, alors président de la Zambie, est désigné le 13 septembre 1998 par la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) comme « médiateur principal ». Président de l’Initiative régionale pour la paix en RD Congo, Chiluba multiplie les efforts jusqu’à amener les différents protagonistes à conclure l’accord de cessez-le-feu de Lusaka en juillet 1999. À la grande satisfaction de Nelson Mandela, le président sud-africain, qui n’a cessé d’encourager les États impliqués dans le conflit en RDC à se désengager.
Kadhafi, en toute discrétion
Dans l’ombre du médiateur officiel, plusieurs dirigeants du continent ont offert leurs bons offices pour obtenir la cessation des hostilités en juillet 1999, à l’instar du Guide libyen, Mouammar Kadhafi, qui, dès septembre 1998, organisait des rencontres en toute discrétion à Syrte entre les représentants de différentes parties belligérantes. Un accord y est même signé le 18 avril 1999 entre les chefs d’État de l’Ouganda, du Tchad, de l’Érythrée, de la RD Congo et de la Libye. Ce qui entraînera le retrait des troupes tchadiennes – 2000 hommes – du conflit.
Masire épaulé par Mbeki et Niasse
Après le cessez-le-feu, place aux pourparlers politiques entre pouvoir et ses opposants armés et non armés ! Après d’âpres tractations, l’Union africaine (UA) nomme le 15 décembre 1999 Ketumile Masire facilitateur du « dialogue intercongolais ». Mais l’ancien président botswanais est très vite récusé par Laurent-Désiré Kabila, alors chef de l’État congolais. Il ne sera remis en selle qu’à l’avènement de Joseph Kabila au pouvoir après l’assassinat de son père.
Thabo Mbeki est celui qui a imposé l’accord global et inclusif, selon Bob Kabamba.
Mais Quett Masire peine à faire avancer les débats. Il lui faut un connaisseur des arcanes politiques congolais. À la mi-juin 2002, l’ONU nomme alors l’ancien Premier sénégalais Moustapha Niasse comme « envoyé spécial pour aider les parties congolaises à parvenir à un accord inclusif sur le partage du pouvoir durant la transition en RDC ». Cela tombe bien puisque Thabo Mbeki, hôte et « parrain » de ces négociations entre Congolais, prépare déjà un plan de sortie de crise. C’est le schéma « 1 + 3 », transformé en formule « 1 + 4 » après l’insistance de Kinshasa d’ajouter un vice-président du camp présidentiel aux trois initialement prévus qui devaient provenir de l’opposition. Un « accord global et inclusif » dans ce sens est conclu fin 2002.
« Les parties prenantes reconnaissaient au président sud-africain, Thabo Mbeki, des pouvoirs supérieurs à ceux du facilitateur. Si au sein du groupe de travail autour de Masire, Niasse était chargé de la rédaction du texte de l’accord, Mbeki est celui qui l’a imposé, prolongeant même ce principe d’ingérence dans la Constitution de la transition qui consacra le Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) parmi les institutions de la République », explique Bob Kabamba.
Obansanjo et Louis Michel chez Nkunda
Début décembre 2008, Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, confie officiellement à Olusegun Obasanjo la mission de faciliter le retour de la paix dans l’Est, confronté à l’inssurrection du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général déchu Laurent Nkunda. Mais le pas de danse et le chaleureux accolade que l’ancien président nigérian s’était autorisé quelques jours plus tôt avec le chef rebelle lors de leur rencontre à Rutshuru passent mal Kinshasa qui y voit une connivence.
Mi-décembre, c’est autour de Louis Michel, alors commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire et très proche de Joseph Kabila, de se rendre dans le Nord-Kivu pour tenter de calmer les ardeurs de Laurent Nkunda.
Kodjo « complicateur » ? DSN « débloqueur » ?
En 2016, c’est le processus électoral en panne qui nécessite, cette fois-ci, des pourparlers. L’UA désigne le 14 janvier Edem Kodjo facilitateur de ces pourparlers qui se veulent inclusifs. Mais une partie de l’opposition, la plateforme Rassemblement d’Étienne Tshisekedi en tête, soupçonne l’ancien Premier ministre de jouer le jouer de Joseph Kabila et l’affublent du statut de « complicateur ». Blocage.
Ce n’est qu’au lendemain des consultations de la classe politique congolaise initiées, en toute discrétion, par Denis Sassou Nguesso, président du Congo d’en face, que le processus du dialogue redémarre – toujours sans le Rassemblement de l’opposition – début septembre.
« Dans une négociation lorsqu’il y a un impasse, l’on cherche toujours une personnalité à même de débloquer la situation. En RD Congo, Sassou Nguesso joue bien ce rôle de ‘débloqueur’. D’autant que c’est stratégique pour lui : après sa réélection controversée, il a intérêt à redorer son image auprès de la communauté internationale et le Congo-Brazzaville serait le premier à payer le prix d’une éventuelle déstabilisation de la RD Congo », commente Bob Kabamba.
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