Éditorial : Borloo, Electric Man

Prendre un café avec Jean-Louis Borloo, une après-midi ensoleillée de début septembre à Paris, alors que les terrasses de la porte d’Auteuil sont pleines, c’est d’abord savoir attendre.

Jean-Louis Borloo, le 24 may 2009 à Rome. © Sandro Pace/AP/SIPA

Jean-Louis Borloo, le 24 may 2009 à Rome. © Sandro Pace/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 5 septembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Non pas que le fondateur d’Énergies pour l’Afrique soit en retard au rendez-vous, mais notre homme est une célébrité dans son genre. Alors, forcément, on l’arrête, histoire d’enrichir sa collection de selfies. Et comme le mythique Guy Roux, archétype du coach râleur et radin à la française, est là par hasard et qu’ils se tombent dans les bras, il faut bien patienter. Voici donc Jean-Louis Borloo, 65 ans, barbe de trois jours à la George Clooney, père chti, mère corse, chef scout, prof à HEC, avocat d’affaires et de Bernard Tapie (tautologie), époux d’une star du PAF, président d’un club de foot, député-maire, rénovateur de banlieues, huit ans ministre de Chirac puis de Sarkozy, venu nous parler du dernier chapitre de sa vie : l’Afrique et l’électricité. Une énième fois, direz-vous, JLB mettant autant de tonus à médiatiser son action que le lapin Duracell à battre du tambour. Oui, sauf que dans ce dossier qui prit un temps des allures d’arlésienne, il y a du nouveau, du solide, du concret.

Depuis deux ans et demi, Borloo sillonne le continent, dont il a rencontré presque tous les chefs d’État, courtise les eurocrates, drague les fonds saoudiens, indiens et chinois, fait le siège du département d’État et du Black Caucus, poursuit Hollande et Royal, ce qui à la longue a fini par payer. Début 2017 au plus tard, assure-t-il, le fonds de soutien à l’électrification de l’Afrique, bras financier d’une vaste agence africaine pour l’énergie fédérant la quasi-totalité des initiatives existantes en ce domaine (Power Africa d’Obama, BAD, aide européenne au développement, Banque mondiale, fondation du prince Al Walid, etc.) verra le jour.

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Appuyé par un petit groupe de chefs d’État motivés, Borloo a obtenu du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, la mise à disposition, dès janvier 2017, de 3 milliards d’euros par an pendant quinze ans (il en demandait 4 sur douze ans), lesquels devraient générer le triple sous forme de prêts. Pour cela, il a fallu rassurer Bruxelles sur la gouvernance de l’agence et la gestion intégrée africaine-européenne des fonds.

La démographie africaine pèsera comme un objet de déstabilisation massive

Convaincre, aussi, sans lésiner sur les arguments anxiogènes et la mise à profit – pour la bonne cause – des grandes peurs européennes. « L’Afrique, c’est 2,2 milliards d’habitants d’ici à trente ans. Si nous ne faisons rien pour fixer cette population, nous assisterons à des migrations d’une ampleur inconnue avec sa cohorte de drames et de chaos. La démographie africaine pèsera comme un objet de déstabilisation massive. »

Pour la petite histoire : l’idée de créer une structure vouée à l’électrification du continent, notre homme dit l’avoir eue un jour de 2009, à Addis-Abeba, alors qu’il était ministre de l’Écologie, au cours d’un entretien avec le leader éthiopien de l’époque, Meles Zenawi – « un visionnaire », dit-il. Le décès de ce dernier, la démission de Borloo du gouvernement, puis la pneumonie aiguë qui le frappe et le cloue au lit pendant près de six mois enterrent le projet. Jusqu’à ce qu’un coup de fil du Congolais Sassou Nguesso vienne rallumer l’ampoule.

« C’était en août 2014, raconte JLB, je sortais de l’hôpital, le président m’a appelé pour prendre de mes nouvelles et me demander de relancer la machine. Il m’a envoyé un émissaire, puis m’a fait venir à Marbella, où il était en vacances. Sassou a trouvé les mots pour me faire replonger. » Il est vrai que celui qui, quelques semaines plus tôt, avait annoncé mettre un terme à tous ses mandats et fonctions politiques pour raisons de santé, n’attendait que cela : trouver la dynamo qui rechargerait ses accus. Depuis, on ne l’arrête plus. Borloo a obtenu le blanc-seing de l’Union africaine et attrapé dans ses filets un François Hollande à la fois bienveillant et ondoyant, tout en maintenant Nicolas Sarkozy et Alain Juppé informés – on n’est jamais trop prudent.

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À la mi-2017 au plus tard, une fois le secrétaire général de l’agence installé dans ses murs (Borloo et Juncker aimeraient beaucoup que ce soit Donald Kaberuka, qui n’a pas dit oui), l’inusable Jean-Louis jure qu’il raccrochera son tablier pour, dit-il, reprendre sa profession d’avocat. À moins qu’il se laisse tenter par le pilotage d’un vaste projet de partenariat euro-africain, pour l’instant inexistant et a priori irréaliste, ce qui a tout pour lui plaire.

Avant que « Borloo l’Africain » ne demande la route, une dernière question d’éditorialiste, genre perfidie facile : « Et ça vous rapporte combien, tout ça ? » La réponse fuse, ton outré : « Rien. Jamais personne ne m’a demandé de lui organiser un rendez-vous d’affaires avec un chef d’État ni de pousser un dossier contre rémunération. Tout le monde sait que j’aurais refusé. C’est d’ailleurs la première fois qu’on me pose cette question. » Clap de fin.

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