Gabon : le sang, la loi et l’argent

Les faits de ces derniers jours expriment la nature du pouvoir au Gabon.

Patrouille de la police gabonaise dans les rues de Libreville, le 2 septembre 2016. © AFP/MARCO LONGARI

Patrouille de la police gabonaise dans les rues de Libreville, le 2 septembre 2016. © AFP/MARCO LONGARI

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Publié le 7 septembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Le pouvoir du sang au sens où il évoque l’image du sang familial, mais aussi un pouvoir du sang au sens où ce pouvoir qui produit des lois, qui se légitime par l’invocation systématique de la loi, met cette dernière sous le contrôle de la famille, car la Cour constitutionnelle est présidée par une ancienne compagne d’Omar Bongo. Ce qui du coup donne à la loi l’image caricaturale d’une force qui matérialise à la fois le sang familial, la « force physique » – ce qu’on appelle les forces de l’ordre –, et la puissance de l’argent (son irrésistible puissance de séduction, de fascination, d’émerveillement, bref, d’éblouissement).

La connexion du sang, de la loi et de l’argent s’impose ainsi comme le fondement d’une machine dont deux caractéristiques majeures sont de ne pas avoir d’état d’âme et de manquer de limite entre son intérieur et son extérieur. Une machine dont Ali Bongo, Jean Ping, et hier André Mba Obame et d’autres grandes figures de l’opposition, sont des rouages. La France, ancienne puissance coloniale qui détient de grands intérêts économiques dans ce pays, où vivent plus de 10 000 Français, et qui y entretient un important dispositif militaire, est elle aussi un rouage de cette machine.

L’argent du Gabon alimente le sang étranger de la machine du pouvoir

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Mais la réalité de cette machine du pouvoir se donne le mieux à voir à partir des paroles des protagonistes de la lutte en cours. Notamment par des connexions particulièrement fortes entre le sang, la loi et l’argent, qui expliquent les réversibilités des haines et des amours, les conversions des attirances en répulsion, les renversements des oppositions et des alliances qui alimentent la vie de la machine depuis plusieurs décennies. En effet, Ali Bongo et Jean Ping, les deux leaders des segments actuellement en lutte, sont tous les deux considérés comme des segments internes de l’externalité de cette machine.

Ali Bongo est au centre d’une bruyante palabre sur sa nationalité gabonaise prétendument usurpée. Il est accusé d’être à la tête d’une « légion étrangère » dont la figure de Maixent Accrombessi, son directeur de cabinet d’origine béninoise, cristallise toutes les passions. Une «légion» dont le but dénoncé serait de piller les richesses du pays au détriment des Gabonais « de sang ». « Le sang étranger d’Ali Bongo et de sa légion étrangère » est ainsi connecté aux richesses matérielles et à l’argent du Gabon. En d’autres termes, l’argent du Gabon alimente le sang étranger de la machine du pouvoir.

André Mba Obame, qui proclama sa filiation à Omar Bongo de manière spectaculaire dans la chambre de mort de celui-ci à Barcelone, qui revendiqua l’héritage politique du père et s’opposa à Ali Bongo lors de l’élection de 2009, fut fortement soupçonné d’avoir vendu l’île Mbanié, au large des côtes de Libreville riches en pétrole, à ses parents équato-guinéens. Encore une connexion du sang familial gabonais avec un sang familial étranger liée à l’argent.

De son côté, Jean Ping, appelé le « chintok » en raison du sang chinois de son père, s’inscrit lui aussi dans cette logique des connexions de sang qui rompent les frontières familiales nationales et s’associent à l’argent et à la loi des affaires. Les Gabonais « de souche » eux-mêmes n’échappent pas à ces connexions dès lors qu’ils se définissent comme des partisans de sang « 100 % gabonais » de ces leaders.

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Ils réalisent ainsi non seulement la réunion dans l’adversité de leurs chefs respectifs à travers leur sang supposé autochtone, et donc supposé « pur », et se connectent au flux de « sangs étrangers » dont ces leaders seraient les porteurs. Ces mêmes leaders qui sont déjà réunis dans l’adversité de la figure de l’étranger et de l’argent, qu’ils portent et qui les porte. Le « sang étranger » se définit ainsi comme une « inquiétante étrangeté » (Freud) qui, associée à l’argent et aux biens matériels, permet de servir la monstruosité de cette machine du pouvoir.

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