Tunisie : pourquoi la Cité de la culture peine à voir le jour
Sur l’avenue Mohammed V, au cœur de Tunis, le chantier inachevé de la Cité de la culture symbolise les coups d’arrêt de la Tunisie. Retour sur les difficultés rencontrées par ce projet ambitieux.
La genèse du projet
Impulsée par Zine el-Abidine Ben Ali en 1994, avec une enveloppe initiale de 120 millions de dinars, la Cité de la culture a fait couler beaucoup d’encre et de béton sans pour autant être opérationnelle. Prévus pour une durée de trois ans avec une ouverture en novembre 2009, les travaux démarrés en 2006 ont été mis à l’arrêt pendant cinq ans, en 2011, avant de reprendre en mai dernier.
L’objectif est désormais d’ouvrir en 2017 cette Cité de la culture. Mais rien de moins sûr, alors que l’État tunisien revoit ses dépenses et ses priorités budgétaires, mettant davantage l’accent sur le désenclavement des régions intérieures.
Pourquoi le sujet revient-il sur le tapis ?
Mais le projet de la Cité de la culture, qui a englouti 75 millions de dinars entre 2006 et 2011, revient sur le tapis, notamment en raison de la nomination en août 2016 du musicologue Mohamed Zinelabedine au ministère de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine.
Désigné en 2008 à la tête de l’Unité de gestion par objectifs de la Cité de la culture, il est reproché à ce docteur en histoire de la musique et musicologie d’avoir servi le régime Ben Ali mais également d’avoir échoué à mener à bien ce projet emblématique.
Pourquoi la construction a-t-elle pris autant de retard ?
Prévu sur près de 49 000 m² couverts, l’espace comprend un théâtre, une cinémathèque, un Centre national du livre et de la création, un Centre national du cinéma et de l’image, des studios de production, trois salles de spectacles ainsi qu’un musée national des arts plastiques modernes et contemporains.
Ce projet ambitieux s’est immédiatement heurté à de nombreuses difficultés. La nature du sol vaseux et l’envergure de l’édifice a contraint les responsables tunisiens à réaliser des fondations en profondeur avec un béton spécial. Autre écueil, le spécialiste de BTP tchèque Geosan Group, qui a remporté l’appel d’offres pour la construction de l’ensemble, estime avoir été induit en erreur par ses contacts tunisiens. Surpris par les coûts réels, le groupe s’est retrouvé face à un dépassement de budget dû, selon lui, à des études mal ficelées entraînant des évaluations erronées.
Dès 2008, les relations entre exécutant et donneur d’ordre se crispent. Une rallonge de 7 millions de dinars est finalement consentie pour relancer les travaux, dont 70 % avaient été réalisés. Mais l’insurrection de 2011 donne un coup d’arrêt au projet.
En 2015, le projet est relancé
Déterminé à réduire le déficit public, le gouvernement de Mehdi Jomâa entame en 2015 une procédure de résiliation du contrat de Geosan Group pour manquements à ses engagements contractuels. L’opérateur tchèque impute à l’insurrection de 2011 les retards accumulés. Sur ce point, la justice lui donne raison et un accord amiable est trouvé.
En marge, le ministère de la Culture lance quand même un appel d’offres pour le parachèvement des travaux et la construction d’un musée national des civilisations avec une livraison de la première phase en mars 2017.
Les entreprises sont invitées à s’appuyer sur un financement extérieur, public ou privé, et à produire une garantie tandis que le ministère argue de la création de 400 à 700 emplois pour la durée des finitions.
Le milieu culturel s’interroge aujourd’hui sur la finalité et la rentabilité de cette Cité. Pour les artistes, cette « cité » symbolise une mise sous contrôle de la culture durant le régime de Ben Ali. «C’est le cimetière de la création», assène par exemple un plasticien tunisien, qui considère que c’est un exemple type de la mauvaise gestion des deniers de l’État. D’autres imaginent ce qui aurait pu être réalisé dans les régions du pays avec tout cet argent. Tous estiment que dans sa situation actuelle la Tunisie pouvait faire l’économie de ce chantier.
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