La Tunisie saigne et tout le monde feint de l’ignorer

Mes « bons baisers de Hammamet » ne seront pas aussi appuyés que les autres années.

Une plage à Hammamet, en Tunisie. © Kaigani Turner/CC/Flickr creative commons

Une plage à Hammamet, en Tunisie. © Kaigani Turner/CC/Flickr creative commons

Fawzia Zouria

Publié le 16 septembre 2016 Lecture : 2 minutes.

Je ne vais pas vous mentir, la ville tunisienne dite « Jardin du paradis », dont je vous envoie des nouvelles chaque été, a des allures d’enfer.

D’abord, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il n’y a pratiquement pas de touristes européens, que les rares Russes présents sont confinés dans leurs hôtels et que les Algériens sont venus moins nombreux. Nous voilà entre Tunisiens, à subir toutes sortes de déconvenues, d’arnaques, d’incivilités. Les prix ont grimpé dès juillet, comme si, en guise d’hospitalité, la ville se passait le mot pour plumer ses vacanciers.

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Les épiciers au front frappé de la tache du croyant servent, le regard rageur, les mécréantes dénudées que nous sommes. Les poubelles s’entassent et cela n’étonne plus personne, le syndicat principal a pris le pouvoir et instauré le chantage en matière de paix sociale. Les plages sont jonchées de pelures de pastèque et de bouteilles en plastique, l’exode rural a installé sur le sable des familles avec brasero et marmites, pour qui la protection de la nature est une coquetterie de citadins.

Le resto en face de chez vous déverse sa musique jusqu’à des heures impossibles, vous n’y pouvez rien, votre voisin vous a persuadé qu’il ne sert à rien d’aller voir le hakem – le représentant de l’État : il serait de mèche avec le fauteur, pour quelques billets glissés dans la poche. Que reste-t‑il aux pauvres estivants que nous sommes ? La mer, un peu plus au large, et encore. Les méduses sont là qui attaquent dans le dos. D’aucuns disent que, depuis la révolution, il faut se méfier autant des hommes que des bêtes.

La corruption a doublé et tout est bon pour racketter son prochain

Première question : comment le Tunisien survit-il dans ces conditions ? Car il survit. Mieux : il continue à faire la fête et à dépenser. Dépenser ? Oui, monsieur. Malgré l’inflation, le chômage et l’effondrement de la monnaie locale. Un ami a tenté de m’expliquer : « Le Tunisien gagne 200 dinars par mois, il dépense 200 dinars, et économise 200 dinars. » Je n’ai pas compris le calcul.

À moins de raisonner en termes de combines et de moyens plus ou moins illégaux. Et de reconnaître que la corruption a doublé et que tout est bon pour racketter son prochain. En tout cas, partout ça gueule et ça s’affaire, ça se plaint et ça consomme, ça pille et ça pleure le pays. L’on reconnaîtra la capacité du Tunisien à s’adapter à tout. Son instinct de survie typique. Mais jusqu’à quand ? D’où la deuxième question : que fait le gouvernement pendant ce temps-là ? Depuis deux mois que je suis là, je n’ai pas entendu parler d’une décision révolutionnaire, d’une d’application ferme de la loi, d’un ouvrage terminé en beauté, d’une mesure économique phare.

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Ne me parviennent que les bruits de couloir de l’Assemblée nationale et les rumeurs du palais de Carthage, le souk des marchandages, les coups et les complots de stratèges qui ne font que redistribuer les mêmes cartes en vue d’une bataille visant à conserver un siège ou un portefeuille. De cette classe politique, pas un cri du cœur. Pas un geste désintéressé. Pas un regard sincère vers une Tunisie qui saigne et autour de laquelle tout le monde continue à faire bonne figure.

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