Phosphates, le gâchis tunisien
Revendications sociales, échauffourées… Le bassin minier de Gafsa, dont la production a propulsé le pays au cinquième rang mondial du secteur, connaît depuis 2011 des difficultés majeures.
« Quand le bassin minier va, tout va ! », assure un retraité de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Certains estiment même que prendre le pouls du bassin donne une idée de la situation économique du pays. Mais depuis quatre ans, il bat au rythme des revendications sociales et émet un signal alarmant. Dans cette région du Sud-Ouest, le chômage atteint 29 %. Elle produit pourtant l’une des principales ressources de devises de la Tunisie : le phosphate. En 2010, les 8 millions de tonnes extraites couvraient 4 % du PIB, ce qui plaçait le pays au cinquième rang mondial du secteur. Mais depuis la révolution de 2011, grèves, sit-in et échauffourées tribales ont paralysé l’activité de la compagnie, plus important pourvoyeur d’emploi dans la région.
1 milliard d’euros, c’est le manque à gagner enregistré depuis 2011 par la filière phosphates tunisienne
Aujourd’hui encore, le bassin minier est au ralenti. La CPG, qui assure l’exploitation du phosphate au sein du Groupe chimique tunisien (GCT) – auquel elle est rattachée depuis 1994 -, chargé pour sa part de sa transformation et de sa commercialisation, fait les comptes.
En 2014, les pertes, aggravées par la baisse des cours du phosphate – entamée en 2012 et qui pourrait durer jusqu’en 2025 selon la Banque mondiale -, ont atteint 20 millions de dinars (8,8 millions d’euros) en 2014.
Pire, depuis décembre, une nouvelle grève engendre une perte de production de 10 000 tonnes par jour. En cause, l’échec des négociations avec le gouvernement pour l’attribution des primes de productivité. Le PDG du GCT, Romdhane Souid, précise que sur les quatre dernières années cumulées, il a réalisé moins de 50 % des gains de 2010.
La CPG, fondée en 1897 et nationalisée en 1962, semble affectée par le poids de sa propre structure. Véritable État dans l’État, elle a, pendant des décennies, géré les besoins du bassin au point de se substituer aux collectivités locales. Les temps ont changé mais pas les mentalités.
Malgré les désengagements de l’entreprise et la modernisation de l’outil de travail, qui a réduit les recrutements dans les années 1990, celle-ci continue d’être perçue comme la mère nourricière de la région. En 2011, sous l’effet des revendications sociales, la direction externalise le nettoyage du phosphate et le transport en créant des sociétés ad hoc. En passant du fer à la route pour le convoyage du minerai, la facture est presque multipliée par cinq.
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En dépit de ses difficultés financières, la compagnie réintègre les employés affectés à des sociétés (en faillite) de lutte contre la pollution générée par les mines, et continue de recruter sans que, pour autant, les esprits ne se calment. L’effectif de la CPG et du GCT est ainsi passé de 9 000 employés en 2010 à 27 000 en 2013… Beaucoup trop pour l’exploitation de huit mines à ciel ouvert et de onze laveries destinées au traitement du minerai.
La restructuration de la filière phosphates paraît incontournable, mais, avec une direction à Tunis et des sites de transformation à Sfax et à Gabès, les prises de décisions ne sont pas simples. D’autant que le pouvoir central a longtemps considéré le bassin minier comme un bastion de la gauche ouvrière… en d’autres termes, des opposants dont on se méfie.
Pour l’État, la relance du secteur devra passer par un rééquilibrage du développement régional. Sur son budget 2014-2016, la CPG lui consacre une enveloppe de 28 millions d’euros, bien que Nidhal Ouerfelli, l’ancien secrétaire d’État chargé de l’Énergie et des Mines, souligne que « la compagnie ne peut se permettre, en termes budgétaires, d’être significativement sollicitée pour le développement régional ». D’ailleurs, au niveau industriel, l’avenir de la CPG n’est plus seulement lié au bassin minier de Gafsa mais à l’exploitation de nouveaux sites dans le gouvernorat de Kairouan (centre) et de Sidi Bouzid.
>>>> Hakim Ben Hammouda : « Le grand défi reste la relance de l’investissement »
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