Au Niger, sur les traces de Jean Rouch
En septembre 1956, Jean Rouch créait avec d’autres le Comité international du film ethnographique. Pour la première fois, le travail des photographes et réalisateurs au service de l’anthropologie allait être reconnu comme une activité à part entière. Rencontre avec ceux qui ont connu cet amoureux du Niger, à Niamey, qui célébrera en 2017 « l’année Jean Rouch ».
Dans moins d’un an, en mai 2017, Jean Rouch aurait eu 100 ans. Son ombre plane encore sur Niamey, notamment sur la terrasse du Grand Hôtel, depuis laquelle il aimait le soir contempler le fleuve. Pour beaucoup, le célèbre réalisateur et ethnologue était plus nigérien que français. D’ailleurs, le Centre culturel franco-nigérien (CCFN) de Niamey porte aujourd’hui son nom.
L’âme nigérienne de Jean Rouch
C’est en 1941, en tant qu’ingénieur des Ponts-et-Chaussées, qu’il découvre le Niger et fait la connaissance de celui qui deviendra son ami et acteur fétiche, Damouré Zika. En 1946, il abandonne le compas et l’équerre pour se mettre à la caméra. Il y tourne son premier film Au pays des mages noirs qui sort en 1947 et lance sa carrière. Ses films (La Chasse au lion à l’arc, Bataille sur le grand fleuve, Cocorico Monsieur Poulet…) ont depuis profondément marqué toute une génération.
« Un jour, nous avons organisé une projection en plein air dans un village où il avait tourné, et un homme a reconnu son père, mort quelques années auparavant, alors qu’il était jeune. C’était très émouvant », se souvient Aliou Maiga Ousseini, directeur technique du CCFN qui l’a bien connu. Il était l’ami de Moussa Illo fils adoptif de Jean Rouch.
Jean Rouch, le génie des vocations
« Avec Moussa, dès l’âge de onze ans, je l’ai fréquenté, il nous apprenait à poser les bobines de 16 millimètres sur les projecteurs. C’est un peu grâce à lui si je suis devenu régisseur puis directeur technique ». Au passage, l’histoire méconnue du fils adoptif est toute « rouchienne ».
Gaoudel Illo, le père de Moussa est à l’origine un pêcheur sarko du village de Firgoun que Rouch a utilisé comme figurant dans La bataille du fleuve. « Cet homme se plaignait de ne pas avoir de garçon, raconte Aliou Maiga. Alors, un jour, Rouch lui a dit : ‘Ton prochain enfant sera un fils’. Et Moussa est effectivement né. Alors, son père légitime le lui a offert en remerciement. Rouch a été son tuteur jusqu’à sa mort ».
Décédé en février 2004, à l’âge de 86 ans, sur une route de l’est du pays où il se rendait pour un tournage (« Il était revenu mourir chez lui », dit Aliou Maiga), l’ethnographe est enterré dans le petit cimetière chrétien de Niamey, où sa stèle est régulièrement fleurie.
« Jean Rouch savait rendre dans ses films la beauté du Niger »
Près du fleuve (là même où fut tournée, en 1974, la fameuse scène de la 2CV entièrement démontée pour assurer la traversée du fleuve dans Cocorico Monsieur Poulet), Moussa Hamidou, qui fut son fidèle ingénieur du son, cultive lui aussi le souvenir du réalisateur.
« Jean Rouch savait rendre dans ses films la beauté du Niger. […] Un jour, mon micro était resté dans le champ de la caméra. Et il apparaissait dans l’image. J’avais honte et Rouch m’a dit ‘t’en fais pas, c’est le génie du son qui se promène’.
Dans son potager, le manguier Jean Rouch, planté en 2004, a déjà bien poussé. « Chaque année, il nous donne de superbes fruits, affirme le septuagénaire. C’est l’âme de Jean qui respire dans cet arbre. »
2017 : l’année Jean Rouch
À l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, le CCFN prépare pour 2017 une série de manifestations, en partenariat avec la fondation Jean Rouch, expositions d’objets et de photos, projections de films à Niamey et dans plusieurs villes et villages du pays, « C’est important de faire vivre sa mémoire, car la jeunesse ne le connaît pas toujours », précise encore Aliou Maiga Ousseini avec un brin d’amertume.
Alors, pour garder ce lien, il retourne régulièrement sur les bords du Niger, là où Jean Rouch, « le maître du cinéma du réel » aimait se baigner parfois, comme pour entrer en contact avec « le génie du fleuve ».
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