L’Afrique a-t-elle entamé sa révolution « open data » ?

En Afrique, nombreux sont les observateurs qui reprochent aux gouvernements leur opacité. Souvent à raison. Pourtant, depuis quelques années, la tendance est à l’ouverture des données publiques. Un phénomène plus ou moins marqué selon les pays.

L’Afrique est-elle entrée dans l’ère de l’open data ? © JA

L’Afrique est-elle entrée dans l’ère de l’open data ? © JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 12 janvier 2015 Lecture : 6 minutes.

Avez-vous entendu parler de l’open data ? Depuis quelques années, à la suite des pays européens et nord-américains, certains États du continent se sont lancés dans l’ouverture de leurs données publiques. 

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Soutenus par les instances suprarégionales, comme la Banque africaine de développement (BAD), ou par des organismes privés, telle la World Wide Web Foundation, les initiatives se multiplient, entre soucis techniques et méfiance politique. L’idée : publier, sur une seule plateforme et sous un format réutilisable par les utilisateurs, des données produites ou collectées par les organismes publics.

Où en est le continent à ce sujet ? Voici les réponses aux questions que vous vous posez.

Comment progresse l’open data en Afrique ?

"Ces dernières années, nous avons constaté une croissance soutenue dans l’ouverture des données", explique José Manuel Alonso, responsable de programmes à la World Wide Web Foundation. "Quelques-unes de ces initiatives n’ont pas vécu bien longtemps mais nous parlons ici d’une vision à long terme", ajoute-t-il.

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Au Kenya, au Ghana ou au Maroc, qui a lancé son premier portail www.data.gov.ma en mai 2011, ont succédé d’autres pays, comme le Burkina Faso, premier chez les pays francophones, ou le Sierra Leone, qui tentent de relever le défi de l’accès aux données dans le monde rural.

Emboîtant le pas, autant pour favoriser la diffusion que l’obtention de données à destination de la société civile comme des bailleurs de fonds, la Banque africaine de développement lance en 2012 l’initiative Autoroute Africaine de l’Information (AIH, en anglais). L’objectif : permettre la mise en ligne, pour tous les États, d’une infrastructure susceptible de porter leurs ambitions en matière de vulgarisation des données publiques.

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>> Visitez la plateforme "Open data" de la Banque africaine de développement

"Le portail a été installé dans tous les pays africains à l’exception de l’Éthiopie et de l’Érythrée, qui ont reporté leur participation", explique Louis Kouakou, directeur du département statistique de la BAD. "Les installations en Libye, en Centrafrique et en Somalie n’ont pas encore eu lieu en raison des problèmes logistiques", ajoute-t-il.

Toutefois, c’est bien principalement aux États qu’incombent les efforts à faire dans le domaine de l’open data. Et, en la matière, ils sont bien loin de fournir tous les mêmes efforts.

Qui sont les champions africains de l’open data ?

Le Maroc, avec son portail data.gov.ma, mis en service depuis mai 2011 et rénové en juin 2014, fait figure de pionnier. Le royaume chérifien n’a d’ailleurs pas hésité à faire figurer dans sa nouvelle Constitution de juillet 2011, issu du printemps arabe, une mention concernant l’ouverture des données. "Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public (…)", dispose ainsi l’article 27 de la loi fondamentale.

"Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique", dispose la Constitution marocaine.

Peu après, le 27 novembre 2012, c’est le Conseil national des technologies de l’information et de l’économie numérique, sous la présidence du chef de gouvernement, qui a acté l’open data comme étant un chantier prioritaire au sein du programme eGov. "Le Maroc fait partie de la liste des 50 meilleurs pays en termes de publication des données publiques", s’enthousiasme Sarah Lamrani, directrice de  pilotage du programme e-Gouvernement du Maroc. "On peut se permettre de dire que cette progression est le fruit de la réussite de cette politique mais il faut d’avantage développer le concept de l’open Data et pousser d’avantage les administrations et les établissements publics à publier leurs données", ajoute-t-elle.

"Il y a deux ou trois ans, ce sont le Kenya et le Ghana qui ont lancé des initiatives comparables à celles que nous observions en Occident", explique José Manuel Alonso. "Ils les ont un peu laissé tomber aujourd’hui et ce sont des plateformes qui sont difficilement mises à jour tandis que l’engouement de la communauté est peu à peu retombé", regrette-t-il.

Si l’Afrique anglophone a été la mieux placée jusqu’à présent en termes d’ouverture des données, sa suprématie est loin d’être incontestée. Selon le classement 2014 de l’Open knowledge foundation, l’Afrique du Sud, notamment grâce à l’action de ses universités, se classe certes en tête des pays africains. Suivent cependant deux francophones : le Burkina Faso et le Sénégal.

Depuis 2014, la quasi-totalité des institutions burkinabè sont ainsi dotées d’un site internet sur lequel elles s’efforcent de publier leurs données. Cependant, la réutilisation de ces dernières s’avère compliquée, car elles sont publiées dans la plupart des cas sous des formats PDF ou HTML.

Que ce soit en termes de capacités techniques, d’investissement politique ou de manque de données disponibles du fait de l’absence d’instituts statistiques fiables, le chemin est encore long sur le continent.

Niveau d’ouverture des données au public dans les pays africains
(Cliquez sur les pays pour accéder aux pourcentages et sélectionnez les catégories de données sous la carte)

Quels sont les principaux obstacles à l’open data en Afrique ?   

"Il y a une réticence quant au partage des données par les administrations et les établissements publics", regrette Louis Kouakou. "De manière générale, les hommes politiques ne comprennent ou ne soutiennent pas l’ouverture des données", affirme quant à lui José Manuel Alonso.

L’open data nécessite une collaboration entre pouvoir politique et organismes indépendants.

De fait, la distinction entre les données publiques partageables et celles qui nécessitent la confidentialité reste souvent floue. Et dans le doute, en l’absence de cadre juridique clair, la non-publication demeure souvent la règle. "L’open data nécessite une collaboration entre pouvoir politique et organismes indépendants", explique Sarah Lamrani. "Il faut respecter les demandes des citoyens, tout en prenant garde au caractère confidentiel de quelques documents", ajoute-t-elle.

De plus, les compétences et les formations, qui pourtant se multiplient, manquent souvent au sein de la société civile pour permettre l’exploitation des données. D’autant que ces dernières sont particulièrement difficiles à exhumer, lorsqu’elles existent. "Il y a très peu d’importantes bases de données sous format électronique en Afrique et dans beaucoup de pays, il n’y a même pas de données du tout", déplore José Manuel Alonso.

Vers un open data africain ?

"Il est important de comprendre que les initiatives doivent s’adapter au contexte de chaque pays", explique Louis Kouakou. "Par exemple, en Sierra Leone ou au Burkina Faso, pour atteindre les zones rurales, le meilleur moyen n’est sans doute pas un site internet classique mais peut-être une radio communautaire, et la source d’information la plus légitime aux yeux de la population ne sera peut-être pas le gouvernement mais plutôt une communauté locale ou une Église", ajoute-t-il.

En Sierra Leone ou au Burkina Faso, pour atteindre les zones rurales, le meilleur moyen n’est sans doute pas un site internet mais peut-être une radio communautaire.

"L’ouverture des données publiques permettra le développement exponentiel d’opportunités économiques par la mise en place de services innovants et la création de logiciels sur la base des données publiées", écrit Florent Youzan, ingénieur ivoirien en sciences informatiques et spécialiste en technologies de l’information et de la communication. "Je pense à des applications web et mobiles présentant les horaires des autobus, les dépenses publiques, les travaux parlementaires, la géolocalisation des services publics, celle des arrêts d’autobus, des stations d’essence…", énumère-t-il.

Le Maroc cherche notamment à développer une application mobile qui recenserait la totalité des agences postales du pays. L’association marocaine SimSim-Participation Citoyenne a également utilisé la liste des députés publiée sur le portail du gouvernement comme base pour créer le site www.nouabook.ma, plateforme participative qui permet à un citoyen de poser des questions aux députés et d’avoir une réponse en ligne.

Les citoyens souhaitent se rapprocher davantage de l’administration et pouvoir influer sur l’action publique.

"L’objectif démocratique que vise l’ouverture des données publiques est fondamental", expliquait quant à lui en mai 2014 le ministère du Développement de l’économie numérique du Burkina Faso. "La relation entre les citoyens et le politique évolue", continuait-il estimant que les citoyens souhaitaient "se rapprocher davantage de l’administration, comprendre, et pouvoir influer sur l’action publique". Ils l’ont d’ailleurs montré de façon éclatante le 30 septembre, en renversant leur président.

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