Michel de Rosen, Eutelsat : « Partager nos fréquences avec les opérateurs mobile est contraire aux intérêts de l’Afrique »

Vent debout contre un partage de fréquences de la bande C – une plage du spectre électromagnétique entre 3 et 7 gigahertz (GHz) – avec les opérateurs mobile, Michel de Rosen, le PDG de l’opérateur européen de satellites Eutelsat, espère convaincre les États africains de se rallier à sa position.

Ancien élève de l’ENA, Michel de Rosen dirige Eutelsat Communications depuis 2009. © AFP

Ancien élève de l’ENA, Michel de Rosen dirige Eutelsat Communications depuis 2009. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 28 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

En novembre, l’Union internationale des télécoms (UIT) pourrait décider, lors de la conférence mondiale des radiocommunications (WRC 2015), du partage de la bande C entre les opérateurs de satellites et les opérateurs de téléphonie mobile. Cette plage du spectre électromagnétique, comprise entre 3 et 7 gigahertz, est traditionnellement réservée aux opérateurs satellitaires.

Selon Michel de Rosen, PDG de l’opérateur satellitaire européen Eutelsat (1,35 milliard d’euros de chiffre d’affaires), cette mesure entraînera des interférences entre les deux usages et compromettra des services essentiels aux ONG, à l’aviation civile, aux télévisions ainsi qu’aux secteurs pétroliers, miniers et bancaires. Pour rallier un maximum d’États à sa position, il participe en tant que représentant des opérateurs de satellites pour l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et la Russie à la réunion préparatoire organisée du 26 au 30 janvier par l’Union africaine des télécommunications à Abuja.

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Propos recueillis par Julien Clemençot

Pourquoi les opérateurs réclament-ils le partage de la bande C, traditionnellement dévolue aux opérateurs de satellites ?

Les opérateurs de téléphonie mobile voient croître les échanges de données de manière très importante. Du coup, ils voient grand et veulent être certains de bénéficier de fréquences, même au-delà de leurs besoins réels. Les chiffres de trafic avancés dans leurs prévisions sont surévalués. Un groupe de travail de l’UIT projette par exemple la population urbaine du Nigéria entre 121 et 222 millions en 2020, quand une étude des Nations Unies table sur 46 millions. Sur l’ensemble du monde, moins de 50 % du spectre attribué aux télécommunications mobiles fait l’objet de licences d’exploitation, et un pourcentage encore moindre est effectivement utilisé.

En cas de catastrophes naturelles, les transmissions en bande C sont les seules à pouvoir être garanties à 100 %.

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Pourquoi contestez-vous le partage de la bande C ?

Des études ont montré qu’il est impossible de faire cohabiter les services des opérateurs mobile et des opérateurs de satellite sans créer des interférences.

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Pourtant, les opérateurs de satellite pourraient techniquement libérer une partie des fréquences…

Encore une fois, cela ne se justifie absolument pas. D’autant qu’il n’y a aucune garantie que les opérateurs télécoms les utiliseront. C’est même contraire à l’intérêt général. En Afrique, la bande C est particulièrement utile car elle permet des transmissions très robustes qui résistent aux intempéries dans les zones tropicales.

La peur de l’engrenage

Techniquement, rien n’empêche les opérateurs de satellites de libérer une partie de la bande C ( fréquences de 3,4-4,2 GHz en liaison descendante et 5,85-6,7 GHz en liaison montante) au profit des opérateurs de téléphonie mobile. Repartis sur des fréquences différentes, les deux usages pourraient co-exister. Mais pour les leaders de cette industrie, ce serait ouvrir la boite de Pandore.

Ils sont ainsi persuadés que les opérateurs mobiles poursuivraient leur offensive en réclamant à terme d’autres fréquences sur la bande C. Début 2014, Intelsat estimait qu’au cours des 5 dernières années, les opérateurs de satellites avaient investi environ 15 milliards de dollars pour le lancement de 52 satellites en bande C. Une fois les satellites lancés dans l’espace, ils restent opérationnels pour des périodes allant jusqu’à 20 ans et les fréquences dans lesquelles ils opèrent ne peuvent être changées.

Pour en savoir plus sur les usages de la bande C et les arguments des opérateurs de satellites en faveur du statu quo : PDF

Quelques chiffres pour vous convaincre. Chaque année, en RD Congo,en Angola et au Nigeria, 20 millions de passagers voyagent sur des avions qui utilisent la bande C pour leurs échanges radio. Toujours dans ces trois pays, on dénombre près de 2 000 sites miniers et gaziers qui dépendent de ces fréquences pour leurs communications. Sans parler des 16 millions de foyers qui reçoivent la télévision grâce au satellite.

Je pourrais multiplier les exemples. En cas de catastrophes naturelles, les transmissions en bande C sont les seules à pouvoir être garanties à 100 %.

>>>> Lire aussi : L’Afrique dans la ligne de mire d’Eutelsat

Certains pays ont-ils déjà rallié votre position ?

Je ne veux pas parler en leurs noms. Plusieurs organisations ont en revanche déjà fait part de leur opposition à ce projet. C’est le cas de l’Asecna (Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar), qui gère la sécurité aérienne sur le continent ou encore de l’Association internationale des diffuseurs (AIB).

Est-ce que la bande C est importante pour les opérateurs de satellite ?

C’est extrêmement important. Actuellement sur 72 satellites couvrant l’Afrique subsaharienne, 50 offrent des couvertures en bande C. Au demeurant, si nous ne défendions que nos seuls intérêts, je ne pense pas que notre démarche aurait pu fédérer au-delà de notre industrie.

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