Où sont passées les boutiques de musique africaine d’antan ?

Tout a commencé par une rumeur qui circulait depuis quelque temps dans le show-biz : les plus célèbres magasins de disques africains à Paris ont fermé !

Exposition « African Records » à la Fondation Zinsou au Bénin, en février 2015. © Antoine Tempé pour JA

Exposition « African Records » à la Fondation Zinsou au Bénin, en février 2015. © Antoine Tempé pour JA

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Publié le 16 septembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Une nouvelle qui, à bien y réfléchir, n’est en fait pas vraiment un scoop. C’est vrai, on le sait, en 2016, le chiffre d’affaires mondial du numérique a dépassé pour la première fois celui des ventes physiques. Les mélomanes, de Alger à Johannesburg, sont passés de la bonne vieille cassette audio au fichier MP3 en sautant allègrement la case CD dans les années 1990. De nombreuses boutiques de musique antillaise ou/et africaine, dans la capitale française, ont déjà été avalées par l’hydre aux mille têtes du marché.

Tout ça, on le sait bien mais quand même… Peut-être me refusais-je à admettre la mort de ces temples du Soleil, la disparition de ces commerces dont les noms étaient la plupart du temps de véritables invitations au voyage sonore : « Tropic quelque chose », « Caraïbes quelque chose », « Afric quelque chose »…

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Pour moi qui étais un consommateur gourmand de la succulente galette de vinyl, un adepte inconditionnel du culte de la cassette, un zélateur acharné de la secte du CD, vérifier le bien-fondé de cette rumeur allait prendre des allures de calvaire. Première station : le 12, rue des Dames, dans le XVIIè arrondissement, où se trouvait une merveille de petite boutique. Le « Mic’Son », une pièce aux trois murs couverts de pochettes de CD et de DVD musicaux jusqu’au plafond.

Africaland parisien

À vous donner un doux vertige ! Mais voilà, aujourd’hui, un rideau de fer baissé claquemure vos souvenirs. « Ils ont arrêté il y a trois mois, me confie l’épicier beur, le voisin. Ils avaient des problèmes avec leur propriétaire. » La vraie raison ?

Deuxième station : la rue Poulet, dans le XVIIIè arrondissement, en plein Africaland parisien. Le magasin appelé « Ovation Music » a fermé il y a plus d’un an.

À côté, au 29, son ex-concurrent, « PPCM ». Pas un chat mélomane dans le local et la vendeuse, Mme Mao (ça ne s’invente pas !), s’ennuie grave ! « Les nouvelles technologies nous on tués ! On ne peut rien faire contre internet qui offre gratuitement toute la musique. Et puis, la disparition des concerts congolais à cause du boycott imposé par les Combattants (NDLR : les membres de l’opposition anti-Kabila, issus de la diaspora) a aggravé les choses. »

On ne vend plus à cause de l’internet

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Mme Mao pourra toujours opter pour la solution choisie par une troisième boutique, un peu plus loin. À « Rythmes Musique », on voit une vingtaine de cassettes audio qui resserrent les rangs face à un tsunami de mèches américaines, de perruques et autres tresses ! Une image symptomatique de ce qu’est devenue en partie « l’Afrique à Paris ». Le salon de coiffure et la mèche pony y trônent. La culture remplacée par la capilliculture en somme…

Troisième station : le 99 rue du Faubourg St-Denis, dans le Xe arrondissement. Et une autre disparition, celle du magasin « Sonima », jadis illustre distributeur et producteur. « Ils ont fermé en début d’année, ils vont construire un restaurant à la place. Ils ont bien raison ! », affirme M. Henry, le directeur de la boutique « BH Electronic », située au 101. « On ne fait plus de marge et surtout, on ne vend plus à cause de l’internet. Le web, c’est beau et laid à la fois. Moi, je tiens parce que je vends des composants électroniques. » The survivor ! Mais pour combien de temps ?

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Un sacré bonhomme, M. Henry ! Petit par la taille mais grand par son amour de la musique africaine. Il y a cinq ans encore, sa boutique était bourrée de types qui y flânaient l’après-midi : ils n’achetaient jamais un disque mais écoutaient les derniers sons arrivés dans les bacs, histoire de « se raccrocher » au « bled ». « BH Electronic » était un lieu de rendez-vous ; on en profitait pour y rencontrer les cousins et les autres pour parler du pays ou de la famille. Le charme de ces commerces « ethniques »… Tout ça est bien fini.

Sa Majesté MP III

Le magasin de M. Henry évoque désormais le théâtre de l’absurde de Samuel Beckett : on n’attend pas Godot mais, à l’instar de ce producteur qui traîne désœuvré devant les rayons, un geste du patron qui accepterait de lui prendre une vingtaine de Cds. Peine perdue… C’est pas le désert des Tartares, plutôt le désert des Barbares.

De ceux qui se sont placés sous le règne omnipotent de Sa Majesté MP III, de tous ces jeunes qui n’ont jamais connu l’esthétique d’une couverture de CD, ni ressenti la sensualité des basses d’un disque vinyl, par exemple. C’est la fin du réel au profit… du virtuel ! Tout un paradoxe. Mais pas de nostalgie excessive : on dispose désormais de tous les sons du monde en fichier, de la musique d’opéra laotienne au blues yankee le plus roots. Ce n’est pas négligeable. De même qu’il n’y a jamais eu autant d’offre en matière de concerts qu’aujourd’hui. Enfin, sachez-le, on peut retrouver à Paris cette « chaleur » si africaine… dans les salons de coiffure !

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