Bonana, bonnes fêtes !
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 31 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.
Vous souhaiter de bonnes fêtes, c’est la moindre des choses. L’année est donc finie. Mais le monde a-t-il changé ? L’homme a-t-il cessé d’être un monstre boulimique, un vampire nombriliste, un broyeur d’espoirs qui croit en Dieu et en ses anges, en attendant d’aller au paradis ? Aux États-Unis, l’une des plus grandes démocraties du monde, un gros Noir, soupçonné de vendre illégalement des cigarettes, a été interpellé par des policiers blancs, violemment mis à terre alors qu’il n’était pas armé, avant d’être gratifié d’une prise de judo autour du cou. Il en a eu le souffle coupé… pour toujours. Le sort des policiers ? Non coupables.
Aux États-Unis, la première puissance mondiale, un jeune Noir, soupçonné de vol, a été abattu à bout portant par un policier blanc. Non coupable. Aux États-Unis, pays chrétien s’il en est, un enfant de 12 ans qui jouait au cow-boy comme à l’époque du Far West, où la vie humaine n’avait aucun prix, a été tué par un policier blanc. Son pistolet n’était pas une arme, mais un simple jouet. Le policier, bien entendu, est non coupable parce qu’il était, j’imagine, comme tous les autres, en état de légitime défense.
Je reviens à vous, dans votre ville des tropiques. À l’occasion des fêtes de la Nativité et du jour de l’An, les supermarchés ont sorti de leur imagination des pères et des mères Noël bien de chez vous, habillés en rouge et blanc, sans traîneau ni neige, il ne faut pas exagérer ! Séduit, vous décidez de vous faire plaisir après trois cents et quelques jours durant lesquels vous avez subi d’intempestives coupures d’eau et d’électricité quotidiennes et payé vos factures mensuelles pour ce que vous n’avez pas consommé. Non, vous ne vous offrez pas une dinde aux marrons. Pas de saumon non plus, ni de foie gras, ni de vin, ni de champagne : ce n’est pas votre catégorie.
Tirant le diable par la queue, il vous reste un choix : du poulet. Mais vous ne voulez pas de ce poulet tropical vagabond qui se nourrit de tout ce qui lui tombe sous le bec, dont ces vilains vers de terre. Vous optez pour du poulet importé, ce cadavre qui a traversé des mers, des océans, des fleuves, des rivières avant d’arriver dans votre assiette, éviscéré, congelé, décongelé, recongelé, pâle, caoutchouteux, prêt à être mangé. Vous en avez pris trois avec quelques épices, dont des cubes Maggi. Ce soir, c’est la fête. Avec votre famille et vos amis, vous boirez de la bière fraîche, vous regarderez et vous savourerez votre poulet importé, à la sauce tomate et très salé. À condition, toutefois, que l’électricité ne vous fausse pas compagnie.
Arrivé dans votre quartier, vos achats dans une main, vous êtes surpris de constater que les ténèbres l’ont déjà envahi. Mais vous restez optimiste. Soudain, une voix autoritaire vous intime l’ordre de vous arrêter. Vous vous retournez : c’est un groupe de militaires. Le plus gradé vous demande ce que vous faites dans le noir. Vous dites que vous rentrez chez vous. Il vous demande votre pièce d’identité et ce que contient le sac que vous avez à la main. Il ajoute que vous êtes un bandit. Sa main enserre vigoureusement votre cou, dans une tentative d’étranglement, pendant que ses collègues vous arrachent vos trois poulets, votre téléphone portable et vident vos poches, jusqu’au dernier billet de banque. De vos yeux, des larmes coulent, coulent comme un torrent. Dans votre ville, l’armée se mêle de tout. Bonana, bonnes fêtes !
>> Lire aussi : Retour sur les destins brisés de neuf Africains-Américains
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