Élections et réseaux sociaux : l’Afrique des trolls
Qui a suivi, avec le minimum de distance prophylactique requis, le processus électoral au Gabon, comme tous ceux qui l’ont précédé au cours de l’année 2016, n’a pu qu’être frappé par le déchaînement de haine et de violence sur cet incubateur de toutes les passions qu’est devenu l’internet.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 19 septembre 2016 Lecture : 2 minutes.
Tout se passe, pendant ces périodes à hauts risques, comme si le gentil geek, pétri d’idéaux et nourri aux mamelles de la libre circulation de l’information, se muait en une sorte de sociopathe agressif atteint du syndrome d’Asperger. Ce personnage, que les Américains désignent sous le terme de « troll » (les États-Unis en regorgent, au point que le magazine Time a fait récemment sa une sur ce phénomène éminemment toxique), a envahi les cybercafés du continent, les états-majors des candidats et les HLM de la diaspora.
L’online (« en ligne »), surtout quand il se pratique dans l’invisibilité, a un effet désinhibant reconnu par tous les psychiatres : il donne aux personnalités dont l’existence est amère, aux dévastés de la vie, aux frustrés de la Terre et aux narcissiques immatures une raison d’être. L’anonymat qu’offrent des plateformes comme Twitter, Reddit, Voat ou 8chan permet à ce cloaque auquel ressemble parfois l’internet africain de s’épanouir. Même Facebook, pourtant mieux protégé contre les trolls, n’échappe pas au sadisme des harceleurs ni aux insultes proférées via de faux profils.
De Paris à Libreville, de Bruxelles à Kinshasa, d’Abidjan à Brazzaville, on s’étripe allègrement sous X au royaume des lâches. Un lynchage collectif dont le Gabon de ces dernières semaines représente l’acmé, les partisans de Jean Ping et ceux d’Ali Bongo Ondimba rivalisant dans l’odieux, le graveleux et le nauséeux.
En Afrique le développement de l’internet n’a eu jusqu’ici qu’un très faible impact sur l’amélioration de la gouvernance et une incidence nulle sur la qualité du débat politique.
Soyons objectifs : les réseaux sociaux, pour lesquels les Africains ont une formidable appétence, ne sont évidemment pas que cela. Ils sont et demeurent des vecteurs d’éducation, des raccourcis vers le développement, des amplificateurs de relations et d’extraversion sans équivalent. L’anonymat donne aussi une voix aux opprimés, et les révolutions tunisienne, libyenne, égyptienne, burkinabè savent ce qu’elles doivent au numérique – tout comme les trafiquants de drogue et les propagandistes sectaires.
Force est cependant de constater qu’en Afrique le développement de l’internet n’a eu jusqu’ici qu’un très faible impact sur l’amélioration de la gouvernance et une incidence nulle – voire négative – sur la qualité du débat politique.
En Afrique centrale, là où l’alternance démocratique prônée par d’ex-caciques se résume bien souvent à exiger leur propre réintégration dans des positions de prébende, de nuisance et de prédation, la manipulation de la Toile par les élites de tous bords est systématique. Chaque camp recrute au sein de la société civile des spécialistes de la cyber-désinformation : intox, matraquage et lapidation en lieu et place de bilan, programme et idées.
Résultat, une offre politique voisine de zéro, la régression du débat au niveau du tribalisme primaire, des histoires de coucheries, des querelles de filiation et des engueulades de matiti ou de nganda, entre deux Régab et trois Primus. Le tout à l’usage de citoyens connectés, certes, mais que rien ne protège des araignées qui hantent la Toile sur laquelle ils naviguent sans boussole. Or cette rose des vents a un nom : la politique. Il est urgent d’en rétablir le sens et l’exigence, avant pendant et après le jour du vote.
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