Cuisine ivoirienne : balade initiatique à Abidjan
Épicerie fine, salon de thé branché, galerie d’art-restaurant nichée dans un patio ou maquis les pieds dans le sable : visite réservée aux gourmets et aux connaisseurs.
Abidjan, le retour
La capitale économique ivoirienne commence à se remettre des longues années de crise politique. Les chantiers sont lancés pour qu’Abidjan redevienne le centre névralgique de l’Afrique de l’Ouest.
Abidjan ne se dévoile jamais entièrement. Et surtout pas lors du premier rendez-vous, même si, pour l’occasion, elle ne manquera bien sûr pas de mettre en avant quelques beaux atours : ses gratte-ciel du Plateau, sa cathédrale Saint-Paul, son hôtel Ivoire, ses centres commerciaux, sa baie des milliardaires, ses villas luxueuses… Mais pour vraiment la connaître, mieux vaut insister. Et, de préférence, demander l’aide d’"initiés".
Grâce à eux, en empruntant de petites ruelles anonymes, en poussant des portes anodines, en cherchant ici et là, on découvre une ville bien différente. Avec de nombreux endroits, plus ou moins cachés, où les Abidjanais aiment à se retrouver entre amis, dans un entre-soi assumé, afin de fuir un instant le tumulte de la ville.
Un véritable cocon connecté
Première escale en plein coeur du quartier des Deux-Plateaux, à Cocody, chez Couleur Café. Situé rue des Jardins, dans la bouillonnante galerie du Super Hayat, l’endroit est en réalité un véritable cocon. Impossible de deviner son existence depuis l’extérieur. Ambiance cosy, meubles, parquets et huisseries de bois, murs et plafonds peints en jaune profond. La boutique propose une cinquantaine de thés haut de gamme (ceux des célèbres maisons française Dammann Frères et panafricaine Yswara), ainsi que quatre cafés arabica de la marque française Olivier Langlois et un robusta ivoirien.
Un vrai paradis, pour les connaisseurs comme pour les simples amateurs. En mezzanine, juste au-dessus de la boutique, où l’on peut feuilleter les journaux du jour et quelques livres, se trouve le salon de thé. Les prix varient de 2 500 à 3 000 F CFA (de 3,80 à 4,50 euros) pour un thé et de 1 500 à 3 000 F CFA pour un café ou un chocolat chaud. Au fil des heures, s’y succèdent des étudiants, des cadres d’ici et d’ailleurs, des intellectuels, des artistes, des couples d’amoureux…
"La plupart de nos clients ont déjà une expérience des coffee shops, tels qu’on en trouve en Europe ou aux États-Unis, et ils viennent chez nous retrouver cette ambiance si particulière", explique Fabienne Dervain, 26 ans, maîtresse des lieux. C’est l’année dernière, tout juste rentrée au pays, que la jeune Ivoirienne, diplômée de l’université américaine de Paris et du King’s College de Londres, décide de reprendre l’affaire familiale (le salon de thé appartient à sa mère depuis 1999) et de la moderniser : refonte totale de la carte, nouvelle décoration et, surtout, nouvelle communication…
Le salon, qui dispose d’une connexion Wi-Fi, est présent sur Facebook, Twitter et Instagram, pour communiquer avec les clients et leur faire part régulièrement des nouveautés. "Ce qui me séduit, c’est surtout le côté "initiateur" des lieux, explique un client. Venir ici, c’est un peu comme aller à la librairie, on peut travailler ou lire un bouquin tout en découvrant de nouveaux thés, que l’on déguste en même temps."
Canapés et gros coussins, tableaux contemporains et lampes design
Toujours aux Deux-Plateaux, sur le boulevard Latrille, Kajazoma est un endroit encore plus discret. Pour vous y rendre, ne faites surtout pas confiance à un chauffeur de taxi affirmant "voir à peu près où ça se trouve", il vous en coûterait une interminable balade dans le quartier – au demeurant charmant. Le premier élément déroutant de ce lieu est qu’il faut en chercher l’entrée, cachée derrière quelques bananiers. Canapés et gros coussins, tableaux contemporains et lampes design, piscine et plantes reposantes, silence délicieux… Il faut ensuite prendre quelques instants pour réaliser que l’on n’est pas dans un jardin privé ni une villa, mais bien au restaurant-galerie d’art Kajazoma, ouvert il y a quelques années par Jeanine Zogo, créatrice d’objets et restauratrice de meubles anciens.
Le concept est simple : tout ce qui est exposé peut être acheté. Même les lieux peuvent être loués pour des événements. On peut aussi y déguster une cuisine exquise, préparée avec des produits frais, et qui mêle influences africaines et européennes. Mais attention, car le temps, chez Kajazoma, file aussi vite que les prix sur l’addition – en moyenne 20 000 F CFA pour un plat et une boisson.
Chez Ambroise, à Marcory. © Olivier pour J.A.
Un excellent dépaysement
Prochaine escale, rive sud. Dans la commune à la fois très résidentielle de Marcory et de sa festive Zone 4 (quartier Biétry). Rue des Majorettes, parallèle au boulevard de Marseille, de prime abord, La Boule Bleue est un restaurant presque banal, coquet, avec de bons vins et une cuisine européenne (de la pizza à la choucroute, en passant par la paella et le cassoulet). Mais, assez rapidement, à l’arrivée des habitués, l’ambiance change. Et ce qui semblait n’être qu’un étrange jardin, se transforme en… terrain de pétanque.
Les boules, le pastis, les chaises métalliques, le bleu Provence et le violet lavande de la peinture et des meubles… Tout est "raccord" : de quoi se croire en plein Marseille, d’où est originaire Gilbert, le propriétaire, qui a ouvert l’établissement avec Solange, son épouse, il y a quatre ans. Peut-être un peu trop "franchouillard" ou "expatrio-centré" pour certains, La Boule bleue n’en reste pas moins un excellent dépaysement et une adresse sympathique.
Tout le monde se retrouve Chez Ambroise
C’est également à Marcory, en plein centre, que se trouve l’un des meilleurs et des plus célèbres maquis d’Abidjan : Chez Ambroise. Le jour, c’est un terrain de football. La nuit, en plein air, les pieds dans le sable, sous des grandes tentes et sur des tables basses, on y déguste des spécialités typiquement ivoiriennes : poulet ou poisson braisés, brochettes, attiéké, alloco, légumes pimentés, escargots grillés, etc. Habitués, touristes, hommes politiques ivoiriens et étrangers, hommes d’affaires, groupes d’amis, étudiants… Tout le monde se retrouve Chez Ambroise, quitte à créer quelques encombrements en cuisine.
Les groupes de musique traditionnelle qui passent de table en table en agacent certains et en enchantent d’autres. Ils ont d’ailleurs le mérite de faire passer le temps d’attente, assez long, avant que l’on soit servi. Ambroise, le patron, qui vient très souvent "en salle" pour saluer les clients, est un personnage, qu’il convient de "mettre dans sa poche" afin de pouvoir passer sa commande par téléphone les prochaines fois et d’être accueilli avec un plat chaud dès son arrivée. Plus qu’un maquis, Chez Ambroise est une véritable institution. Et si votre "guide" ou votre "initié" ne vous y emmène pas, changez-en !
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