Fathallah Arsalane : « le paysage politique au Maroc est pathétique à la veille des élections »

La mouvance islamiste du cheikh Yassine, Al Adl Wal Ihssane, a appelé encore une fois au boycott des législatives du 7 octobre, contestant un pouvoir selon elle antidémocratique. Son porte-parole s’explique.

Le porte-parole de l’organisation « Al Adl Wal Ihssane », Fathallah Arsalan, en compagnie de Mohamed Abbadi, leader de la Jamaâ. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Le porte-parole de l’organisation « Al Adl Wal Ihssane », Fathallah Arsalan, en compagnie de Mohamed Abbadi, leader de la Jamaâ. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 21 septembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Interdite mais tolérée, l’organisation « Justice et bienfaisance » (Al Adl Wal Ihassane), principale mouvance islamiste au Maroc, a appelé au boycott des élections législatives du 7 octobre. Ce n’est pas une nouveauté pour une organisation atypique qui n’a jamais voulu participer aux élections pour ne pas jouer le jeu d’un pouvoir qu’elle juge « despotique ». Dans cette interview, son porte-parole Fathallah Arsalane explique ce boycott et se prononce, au passage, sur l’actualité pré-électorale particulièrement chaude pour les islamistes : scandale sexuel du MUR, participation des salafistes aux élections, blâme royal adressé au ministre Nabil Benabdellah…

Jeune Afrique: Ce n’est pas la première fois que vous appelez au boycott des élections. Quelle en est la raison cette fois-ci ?

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Fathallah Arsalane : Dans les démocraties qui se respectent, les élections permettent aux partis politiques de rentrer en compétition pour accéder au pouvoir et pouvoir réaliser leurs programmes électoraux. Ce n’est pas la réalité au Maroc car notre Constitution concentre tous les pouvoirs dans les mains du roi et n’instaure pas un vrai partage avec les autres institutions. Alors que ses marges de manœuvre sont limitées, le gouvernement doit rendre des comptes. Pourquoi allons-nous participer aux élections pour élire un gouvernement qui ne gouverne pas ? Ceci sans parler du mode de scrutin qui ne fait qu’accentuer la balkanisation politique, empêchant les partis de réaliser leurs programmes. C’est l’absurdité incarnée !

Votre décision de boycott n’est-elle pas une excuse pour éviter d’entrer en confrontation directe avec le pouvoir ?

Nous sommes interdits de tout exercice politique. C’est le pouvoir qui a peur de nous au cas où on investirait les élections et non le contraire.

Vous vous dites exclus du jeu politique mais une large frange de vos adhérents vote discrètement pour le PJD (islamiste, au pouvoir)…

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Ceci est du pur mensonge, véhiculé par nos adversaires pour attaquer le PJD. Nous ne participons pas aux élections. Nous ne sommes même pas inscrits sur les listes électorales. Pourquoi allons-nous nous mobiliser pour le PJD ? Si nous croyions vraiment en la sincérité de ces élections, autant participer nous-mêmes !

On fabrique des histoires pour faire tomber les indésirables

Le PJD est actuellement au centre des critiques. Votre opinion ?

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Le problème ne concerne pas uniquement le PJD, mais tout ce paysage politique incroyablement délétère, administré par les vrais gouvernants du pays en fonction de leurs objectifs. Tous ceux qui osent s’en démarquer sont systématiquement rappelés à l’ordre. Je ne divulgue pas un secret en disant que c’est le ministère de l’Intérieur qui est le maestro de cette partition, et ce depuis longtemps. Aujourd’hui, ses méthodes ont peut-être changé (élections plus régulières, présence d’observateurs internationaux…) mais son interventionnisme est toujours le même. C’est lui qui établit le découpage électoral. C’est lui qui fabrique des histoires pour faire tomber les indésirables. Ce qui se passe actuellement est vraiment pathétique et pousse les gens à déserter les urnes.

À quoi faites-vous allusion ?

Je parle de cette mascarade appelée jeu politique, des coups bas, des marches de protestation montées de toutes pièces dans le seul objectif de décrédibiliser un parti, de certaines affaires de mœurs qui attaquent l’honneur des gens…

Si vous faites allusion à l’affaire des deux responsables du Mouvement de l’unification et de la réforme (MUR), je vous rappelle qu’ils ont été appréhendés en flagrant délit…

Écoutez, je ne veux pas rentrer dans cette affaire. Indépendamment de qui a tort et qui a raison, je constate juste que ce genre de « flagrants délits » existe par milliers dans les rues marocaines. Pourquoi n’en arrête-t-on pas systématiquement les auteurs ?

La réalité est différente de ce que vous dites. Au Maroc, ce genre d’arrestations est monnaie courante…

Les deux responsables du MUR ont été arrêtés très tôt le matin. Ne trouvez-vous pas que c’est tout de même bizarre comme timing ? Faites un tour dans les rues et vous allez voir que les couples en « flagrant délit » existent partout et à n’importe quel moment de la journée.

Le Palais royal doit rester au-dessus des luttes partisanes

Donc, à vous entendre, il s’agit d’un complot. Qui est derrière ?

Cette affaire ne représente qu’une infime partie de mon message. Et je ne veux pas m’y arrêter. Je veux mettre l’accent sur l’état catastrophique du jeu politique avec, comme dernier épisode, ce communiqué acerbe du Palais contre le ministre Nabil Benabdellah, accusé d’avoir ciblé un conseiller du roi dans une de ses déclarations. Ce genre de sorties déstabilise et fait peur à la classe politique. En plus, au lieu d’encourager les gens à participer aux élections, il les pousse droit vers le boycott.

Selon vous, le cabinet royal ne devrait donc pas recadrer le ministre Benabdellah…

C’est ce que je pense. Il est eu-dessus de la mêlée et n’aurait pas dû s’impliquer dans les affaires partisanes. De toutes les façons, ce communiqué ne s’adresse pas uniquement à Benabdellah mais à d’autres, essentiellement au PJD. C’est cette manière de gouverner que nous n’acceptons pas.

Vous dites que rien n’a changé, mais plusieurs salafistes qui avaient des positions radicales dans le passé sont entrés en politique et comptent se présenter aux élections…

La question que vous abordez est, pour moi, très secondaire car son objectif est juste d’embellir la façade. Le problème réside dans l’absence d’un État de droit. Il existe des partis politiques et des ONG de défense des droits de l’homme qui n’arrivent pas à avoir une autorisation pour pouvoir exercer sur le territoire. Certains rassemblements sont encore interdits.

Quel est l’état de votre relation avec les autorités ? Celle-ci est-elle toujours tendue comme avant ?

Elle connaît des hauts et des bas. Mais nous sommes toujours dans leur ligne de mire. Nos militants sont encore interpellés et poursuivis dans des procès au prétexte qu’ils ont participé à des rassemblement illégaux. Nous avons des locaux qui sont encore sous scellés. De même que nous contestons toujours la décision de la justice de classer le dossier de notre martyr Kamal Amari, mort en 2011 à la suite de violences subies lors d’une manifestation à Safi.

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