Massacres du 28 septembre 2009 à Conakry : où en est la justice guinéenne ?

Ce 28 septembre, cela fera exactement sept ans que le massacre du 28 septembre 2009 a été commis à Conakry, faisant officiellement 157 morts. Sept ans que les victimes qui ont survécu à l’horreur réclament justice. Les principaux suspects seront-ils jugés un jour en Guinée ?

Le stade du 28-Septembre à Conakry, où la plupart des crimes de 2009 ont été commis, ici en décembre 2009. © REBECCA BLACKWELL/AP/SIPA

Le stade du 28-Septembre à Conakry, où la plupart des crimes de 2009 ont été commis, ici en décembre 2009. © REBECCA BLACKWELL/AP/SIPA

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Publié le 27 septembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Les photographies de cet article sont tirées du travail de Tommy Trenchard pour le compte de la fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) dans le cadre du projet Guinée : en attente de justice.

Quelle date pour un procès ?

En 2015, le ministre guinéen de la Justice, Me Cheik Sako, avait assuré que le dossier du massacre du 28 septembre 2009 serait bouclé en 2016. Une échéance qui ne semble désormais plus d’actualité. « Il faut absolument que la procédure soit terminée d’ici à la fin de l’année et qu’un procès s’ouvre en 2017 », promet à nouveau le Garde des Sceaux.

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« Nous n’avons aucune garantie que justice sera faite, et nous ne connaissons toujours pas la date du procès », s’inquiète de son côté Asmaou Diallo, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa). « Nous n’allons toutefois pas nous décourager. Nous allons poursuivre le combat et faire des plaidoyers », assure-t-elle.

Mamadou Saliou Diallo, photographié à la sortie du stade où il a été presque piétiné à mort pendant le massacre du 28 septembre 2009 : "Je ne sens plus mon pied droit et j’ai des douleurs au dos. Je ne suis plus moi-même. J’ai toujours des douleurs. Quelquefois, j’ai l’impression d’être fou. J’espère que Dieu nous aidera à trouver la justice." © FIDH/Tommy Trenchard

Mamadou Saliou Diallo, photographié à la sortie du stade où il a été presque piétiné à mort pendant le massacre du 28 septembre 2009 : "Je ne sens plus mon pied droit et j’ai des douleurs au dos. Je ne suis plus moi-même. J’ai toujours des douleurs. Quelquefois, j’ai l’impression d’être fou. J’espère que Dieu nous aidera à trouver la justice." © FIDH/Tommy Trenchard

Où en sont les auditions des victimes ?

Le ministre de la Justice a exprimé son souhait de voir bouclée dans les deux prochains mois la phase des auditions, dont la dernière vague a eu lieu au début du mois d’août.

Plus de 400 victimes ont été entendues par les juges, ce qui représente « plus de la majorité des victimes » vivantes, estime Amadou Barry, chargé de communication de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme, OGDH.

Le massacre a fait au moins 157 morts, une centaine de femmes ont été violées, plusieurs centaines de personnes ont été gravement blessées tandis qu’une centaine d’autres ont disparu. Les organisations de défense des droits de l’homme estiment que des fosses communes restent à localiser.

Photographiée à l’extérieur du stade national où elle a été violée par des membres des forces de sécurité le 28 septembre 2009 : "J’ai été violée derrière le stade. Depuis ce jour, ma vie n’a plus de sens. J’allaitais et mon mari m’a abandonnée. Mes enfants ne peuvent pas aller à l’école et je ne peux pas payer mon loyer." © FIDH/Tommy Trenchard

Photographiée à l’extérieur du stade national où elle a été violée par des membres des forces de sécurité le 28 septembre 2009 : "J’ai été violée derrière le stade. Depuis ce jour, ma vie n’a plus de sens. J’allaitais et mon mari m’a abandonnée. Mes enfants ne peuvent pas aller à l’école et je ne peux pas payer mon loyer." © FIDH/Tommy Trenchard

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En fait, il est bien difficile d’évaluer avec certitude le nombre total des victimes. « Certaines d’entre elles, notamment les femmes, n’acceptent pas de venir témoigner devant le juge, de peur qu’on sache qu’elles ont été violées », explique Asmaou Diallo. Toutefois, « elles viennent petit à petit », ajoute-t-elle. Avant de déplorer le manque de prise en charge ou de dédommagement de l’État. »Les victimes, particulièrement les femmes, vivent difficilement. Elles ont tout perdu : emplois, maris… et sont discriminées ».

Qui a déjà été inculpé ?

Le pool de juges d’instruction chargé du dossier depuis février 2010 a inculpé en tout quatorze personnes, dont sept hauts responsables au moment des faits : le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte ; son ex-aide de camp en cavale le lieutenant Aboubacar Diakité dit Toumba, qui est également ex-chef de la garde nationale ; le colonel Claude Pivi alias Coplan, ex-ministre chargé de la Sécurité présidentielle.

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Mais aussi le colonel Moussa Tiégboro Camara, alors ministre chargé de la Lutte antidrogue et des crimes organisés qui en même temps « commandait une unité d’élite de la gendarmerie qui a pris part au massacre », selon la FIDH ; le capitaine Lamah Bienvenu, « responsable de la milice qui stationnait au camp de Kaléah (préfecture de Kindia) au moment des faits. Plusieurs dizaines de ses recrues, en civil et armées d’armes blanches, sont accusées d’avoir participé au massacre.

Les deux derniers sont le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, ex-ministre de la Santé, accusé d’avoir « délibérément entravé la prise en charge médicale des blessés » et le général Mamadouba Toto Camara, ex-numéro 2 de la junte et ministre de la Sécurité à l’époque, « poursuivi pour les exactions commises par les forces de police placées sous son commandement ».

Qui échappe encore à la justice ?

Le capitaine putschiste Moussa Dadis Camara et son aide de camp, également chef de la garde présidentielle, Abubakar "Toumba" Diakité, le 2 octobre 2009 à Conakry. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

Le capitaine putschiste Moussa Dadis Camara et son aide de camp, également chef de la garde présidentielle, Abubakar "Toumba" Diakité, le 2 octobre 2009 à Conakry. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

« Deux acteurs majeurs de la transition » restent à auditionner, regrette Abdoul Gadiri Diallo, président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme, OGDH. Il s’agit du général Sékouba Konaté, ancien président par intérim de la Transition guinéenne et Aboubacar Sidiki Diakité, dit Toumba, ex-aide de camp du capitaine Moussa Dadis Camara, ex-chef de la junte. Le second a certes été inculpé (en son absence), mais il reste introuvable. Quant au premier, son audition annoncée depuis juillet 2015 par le ministre de la Justice n’a toujours pas eu lieu.

« La balle est dans le camps du général (Sékouba Konaté), estime le ministre Cheick Sako. Il s’était déclaré prêt à être entendu. Nous avons réitéré notre demande et nous attendons ». Quant à Toumba, »nous ignorons où il se trouve, poursuit-il. On a lancé deux commissions rogatoires, dont l’une en France. Sans suite ».

« Nous souhaitons que Sékouba Konaté et Toumba Diakité soient entendus à l’instar de Dadis et de tous les autres déjà auditionnés et inculpés », martèle Asmaou Diallo de l’Avipa. Dans son sillage, le président de l’OGDH, Abdoul Gadiri Diallo, dénonce des « pesanteurs et des jeux en coulisses » qui retardent l’audition des deux hauts officiers. Il dit ne pas comprendre que Toumba Diakité, en dépit de ses démêlés avec la justice, puisse – selon lui – « voyager librement dans des pays européens et africains censés être amis de la Guinée ».

Enfin, une des victimes réfugiées à Dakar (Sénégal) aurait reconnu « un certain nombre d’acteurs possibles du massacre qui n’ont pas encore été auditionnés, a révélé le ministre de la Justice. Il faut absolument les interroger, et l’un des juges va le faire », assure-t-elle.

Présent lors du massacre du 28 septembre, Ibrahima Diallo, tailleur, ne peut plus exercé son métier du fait des séquelles des violences dont il a été victime. © FIDH/Tommy Trenchard

Présent lors du massacre du 28 septembre, Ibrahima Diallo, tailleur, ne peut plus exercé son métier du fait des séquelles des violences dont il a été victime. © FIDH/Tommy Trenchard

Combien coûtera le procès ?

Le retard du procès s’expliquerait en partie par son coût. « La Guinée à elle seule ne peut pas supporter le coût de ce procès qui porte sur des crimes de masse », avance le ministre de la Justice. Celui-ci s’appuie sur l’exemple du procès de Hissène Habré au Sénégal qui, rappelle-t-il, avait nécessité des soutiens financiers extérieurs. Mais impossible d’avoir une idée des sommes en jeu. « Une commission travaillera sur les prévisions budgétaires » ultérieurement, poursuit le ministre Cheick Sako.

Lors d’un séjour à New York et à Washington, où il a rencontré Zeinab Hawa Bangoura, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les crimes sexuels commis en période de conflit, Cheick Sako assure avoir obtenu « des engagements fermes des partenaires » de la Banque mondiale, du Département d’État américain et du PNUD, entre autres, pour appuyer financièrement la tenue du procès. Mais, précise-t-il, « on a, à ce stade, zéro franc ».

Mariama Thiouto Bah, photographiée au stade national où elle a été attaquée avec une barre en fer par les forces de sécurité et a eu sa main cassée, le 28 septembre 2009 : "Deux policiers m’ont frappée avec une barre en fer et m’ont blessée à la main. Après cela, j’ai été voir un docteur pour recevoir un traitement, mais mon mari a su que j’avais été au stade, et il m’a abandonnée. Ce jour-là ma vie a été détruite." © FIDH/Tommy Trenchard

Mariama Thiouto Bah, photographiée au stade national où elle a été attaquée avec une barre en fer par les forces de sécurité et a eu sa main cassée, le 28 septembre 2009 : "Deux policiers m’ont frappée avec une barre en fer et m’ont blessée à la main. Après cela, j’ai été voir un docteur pour recevoir un traitement, mais mon mari a su que j’avais été au stade, et il m’a abandonnée. Ce jour-là ma vie a été détruite." © FIDH/Tommy Trenchard

Quel rôle joue la CPI ?

En l’absence de volonté ou de capacité de la Guinée à rendre justice, la Cour pénale internationale (CPI) doit prendre son relais sur le dossier du 28 septembre. Depuis 2009, la CPI compte une dizaine de missions à Conakry. La dernière – celle d’une équipe du bureau de la procureure, la Gambienne Fatou Bensouda -, a eu lieu en juin dernier. Ses échanges avec les autorités guinéennes « ont porté sur l’éventualité de la clôture de l’instruction avant la fin de l’année et la programmation du procès », confie une source proche des ONG de défense des droits de l’homme.

Si jamais la Guinée ne juge pas ce dossier, c’est la CPI qui va s’en charger. Et à juste titre, je serais le premier à applaudir, affirme Cheick Sako, le ministre de la Justice

« Tout porte à croire que le procès aura lieu en Guinée, vu les avancées réalisées sur le dossier », renchérit-elle, tout en se montrant prudente sur la nouvelle échéance de 2017. « Ce n’est pas la première fois que le ministre de la Justice annonce des échéances ». Et de rappeler que la salle d’audience de la Cour d’appel de Conakry, la plus grande juridiction de jugement, n’est pas appropriée pour abriter un procès d’une telle envergure. Ainsi, « l’intervention de la CPI n’est pas d’office exclue », conclut la même source.

« On ne peut pas faire l’économie de ce procès, assure de son côté le ministre de la Justice, Cheick Sako. Si jamais la Guinée ne juge pas ce dossier, c’est la CPI qui va s’en charger. Et à juste titre, je serais le premier à applaudir ».

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