Un Rifain « homme de l’année »

Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam. © Ilvy Njiokiktjien / ANP / AFP

Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam. © Ilvy Njiokiktjien / ANP / AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 31 décembre 2014 Lecture : 2 minutes.

À l’origine, c’était le news magazine Time qui désignait, à la fin de l’année, la personnalité qui avait le plus marqué les douze mois écoulés. On a donc eu droit à Gandhi en 1930, Roosevelt en 1932 et 1934 (le seul à avoir été trois fois man of the year puisqu’il le fut de nouveau en 1941), Staline en 1939 et 1942, sans doute grâce à la bataille de Stalingrad, Churchill (deux fois lui aussi). On a même eu Hitler en 1938 – ce qui montre qu’on peut être l’homme de l’année pour de mauvaises raisons. On a eu Gorbatchev, le pape Jean-Paul II, Deng Xiaoping, etc.

Il est dommage que cette tradition n’ait commencé qu’en 1927. Si Time avait dû choisir un homme de l’année six ans plus tôt, c’est sans doute le fameux Abdelkrim al-Khattabi qui aurait été choisi : la bataille d’Anoual, en 1921 donc, fut la première grande victoire d’un peuple colonisé contre une puissance coloniale. Les Rifains servirent de modèle au général vietnamien Giáp, au FLN algérien, à Che Guevara et plus généralement à tous ceux qui durent livrer des guerres dites asymétriques contre des grandes puissances.

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Abdelkrim eut d’ailleurs les honneurs de la couverture de Time, quelques années plus tard, mais on était sans doute trop éloigné dans le temps de la bataille d’Anoual pour qu’il fût désigné homme de l’année. Gandhi, autre grand adversaire du colonialisme – même si ce fut par d’autres moyens -, arriva à temps pour être inclus dans la fameuse liste.

Entre-temps, l’idée de Time a été reprise par bien d’autres magazines, dans le monde entier, et on ne compte plus les hommes de l’année. Pourquoi pas ? Une saine émulation est une bonne chose. En tout cas, elle a permis que fût réparée une injustice historique puisque près d’un siècle après Abdelkrim, c’est un autre Rifain qui est choisi comme "homme de l’année" : il s’agit d’Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam, distingué par l’hebdomadaire néerlandais Elsevier comme man van het jaar 2014.

Ce qui est remarquable, mais pas immédiatement perceptible pour ceux qui ne connaissent pas les Pays-Bas, c’est qu’Elsevier est un journal résolument de droite. C’est donc une sorte de Figaro magazine qui accorde ses suffrages à un immigrant marocain arrivé du Rif à l’âge de 15 ans sans connaître un traître mot de néerlandais, et qui, à 53 ans, a déjà une impressionnante carrière derrière lui : conseiller municipal d’Amsterdam, ministre des Affaires sociales, maire de la ville qui est le poumon économique des Pays-Bas, le point d’accès de la Ruhr allemande et le plus grand port d’Europe.

Finalement, ce n’est pas une mauvaise chose qu’il ait fallu attendre près d’un siècle pour que le sacre d’un Rifain répare l’injustice faite à un autre. Aboutaleb, c’est le travail sérieux, la rigueur et l’honnêteté qui sont récompensés par temps de paix. Ce qui prouve que les vertus guerrières peuvent être appliquées au progrès pacifique de l’humanité. "De leurs épées ils forgeront des socs", dit la Bible (Ésaïe, 2:4). C’est une belle image pour illustrer le succès d’un Rifain en terre d’Europe.

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