Libye : des barils et des balles
Principale source de revenus de l’État libyen, l’or noir est plus que jamais au coeur de la guerre sans merci que se livrent les différentes factions qui se disputent le pouvoir.
NOC. Le sigle de la Compagnie pétrolière nationale (National Oil Company) libyenne pourrait tout aussi bien correspondre à chaos national pétrolier. Enjeu majeur, le contrôle de l’or noir, principale source de revenus de l’ex-Jamahiriya, s’est immanquablement retrouvé au coeur des interminables conflits armés et batailles institutionnelles qui secouent le pays depuis la révolution de 2011.
Avec parfois des situations ubuesques, comme à Vienne, lors du dernier congrès de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), en novembre, où chacun des deux gouvernements libyens – celui de Tripoli et celui de Tobrouk, lequel est reconnu par la communauté internationale – a dépêché son propre patron de la NOC. Finalement, seul celui adoubé par le gouvernement "en exil" à Tobrouk a été accepté par le cartel des pays producteurs.
En cette fin d’année extrêmement tendue, la NOC est la cible de nombreuses pressions mais tente de rester "indépendante" et de se tenir à distance de la guerre. Une gageure, quand on sait que les différents belligérants, avides de pouvoir et des pétrodollars nécessaires à la consolidation de leurs fragiles institutions, s’affrontent désormais aux abords des zones de production et des terminaux.
Mi-décembre, les stratèges de Fajr Libya – coalition de milices de Misrata et de Tripoli, renforcée par la présence de jihadistes d’Ansar al-Charia établis dans la région de Syrte – ont ainsi lancé l’opération Chourouk ("lever du soleil") pour prendre le contrôle des infrastructures pétrolières. Les raids aériens effectués par l’armée nationale pour stopper leur progression ont provoqué la fermeture du premier terminal du pays, Es-Sider, protégé par les miliciens d’Ibrahim el-Jadhran, et de celui de Ras Lanouf. Plus au sud, Fajr Libya contrôle depuis novembre le champ pétrolier d’El-Sharara avec ses alliés touaregs.
>> Lire aussi : trois réservoirs de pétrole en feu dans un terminal de l’est
Le pétrole : monnaie d’échange ou levier de pression
L’éventuelle mainmise de Fajr Libya – et de ses alliés terroristes d’Ansar al-Charia – sur la manne pétrolière, sur la NOC ou encore sur la banque centrale inquiète les chancelleries occidentales, tandis que les combats débordent dans l’ouest de la Tripolitaine, à la lisière de la Tunisie, pour le contrôle des postes frontaliers de Ras Jedir et de Dehiba.
Depuis la chute de Kadhafi, la Libye est malade de son pétrole, qui représente près de 90 % des revenus de l’État et dont les différentes parties se servent comme monnaie d’échange ou levier de pression. Comme ce fut le cas entre août 2013 et avril 2014, lorsque le chef des milices de Cyrénaïque, Ibrahim el-Jadhran, a bloqué les terminaux pétroliers, provoquant une chute de la production à moins de 250 000 barils par jour (b/j), contre 1,5 million de b/j. En septembre dernier, la production était repartie à la hausse, atteignant 900 000 b/j, dont plus de 20 % produits à El-Sharara, avant de retomber aujourd’hui sous la barre de 800 000 b/j.
Une série de conflits régionaux, politiques et idéologiques
L’atonie d’une industrie pétrolière autrefois florissante a grevé l’économie nationale, sur fond d’une chute des cours à moins de 60 dollars le baril. En quête de liquidités, le gouvernement de Tobrouk a dû vendre pour plus de 2 milliards de dollars de bons du Trésor. À Tripoli, Fajr Libya cherche à asseoir sa domination militaire sur la banque centrale, sur la NOC ainsi que sur l’Autorité d’investissement libyenne (Libyan Investment Authority, LIA), toutes trois tiraillées entre les deux gouvernements. Et à la guerre du pétrole est venue s’ajouter une série de conflits régionaux, politiques et idéologiques qui n’augure rien de bon.
Une chose est sûre : la guerre ne tranchera pas la question fondamentale de la répartition de la rente pétrolière, sur laquelle planche le Comité constitutionnel (qui siège à El-Beïda). Tant que les belligérants continueront de faire parler la poudre, le processus institutionnel et la transition démocratique censés conduire à la construction d’un État démocratique seront minés, voire condamnés à la paralysie.
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