Football : ils ont des rêves plein la tête

Parce que la Fifa interdit les transferts internationaux de joueurs mineurs, des centres de formation ont vu le jour un peu partout sur le continent. Le talent, il faut aller le chercher là où il se trouve.

Des jeunes joueurs du centre d’entraînement de Diambars. © SEYLLOU / AFP

Des jeunes joueurs du centre d’entraînement de Diambars. © SEYLLOU / AFP

Publié le 14 janvier 2015 Lecture : 8 minutes.

C’était dans les années 1990. Salif Diao n’était pas encore un célèbre milieu de terrain sénégalais, juste un gamin plutôt doué la balle au pied, mais perturbé par le divorce de ses parents. Il a 13 ans lorsqu’il voit à la télé une publicité pour le centre de formation de l’AS Monaco à Dakar. Ce jour-là, sa décision est prise : il sera footballeur. Il abandonne l’école, s’enfuit de chez lui et parcourt les 700 km qui séparent sa ville de Kédougou, dans l’est du Sénégal, de la capitale. Salif Diao veut montrer ce qu’il sait faire.

Chaque jour pendant six semaines, il se présente au centre chaussé d’une simple paire de tongs, sans qu’aucun entraîneur ne manifeste d’intérêt pour ce jeune sorti de nulle part. Jusqu’à ce que quelqu’un finisse par lui donner sa chance ; Salif Diao la saisit, intègre l’académie puis l’équipe nationale junior. Suivront une carrière de seize ans, un Trophée des champions et un titre de champion de France avec l’AS Monaco (respectivement en 1997 et 2000), une victoire en Ligue des champions avec Liverpool (en 2005) et même une participation au Mondial de 2002 avec les Lions de la Teranga, arrivés cette année-là en quart de finale.

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Le FC Barcelone, interdit de transferts jusqu’en 2016

L’AS Monaco a été le premier club européen à installer une école de foot en Afrique de l’Ouest et Diao fut l’une des premières stars du continent à y être formée. Aujourd’hui, entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire, c’est à qui formera le plus grand nombre de joueurs qui, plus tard, évolueront dans les cinq plus grands championnats européens. Mais ils ne sont pas les seuls : l’Ajax Amsterdam et le Feyenoord Rotterdam ont créé de très bonnes écoles en Afrique du Sud et au Ghana, tandis que la Pepsi Football Academy forme près de 3 000 jeunes dans plus d’une dizaine de centres à travers tout le Nigeria. Tous rêvent de suivre le célèbre exemple de Mimosifcom, le centre de formation de l’Asec Mimosas, à Abidjan, d’où sont sortis 14 des 23 joueurs que la Côte d’Ivoire avait alignés pour la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en 2008.

Le succès de ce type de centres n’est pas nouveau. Cela fait longtemps que l’Europe cherche à importer des talents à moindre coût. Mais la tendance s’est accélérée depuis que la Fifa a interdit les transferts internationaux pour les moins de 18 ans. Avant, les clubs occidentaux pouvaient faire venir des joueurs prometteurs, parfois très jeunes, les loger, les nourrir, les former et aiguiser leur jeu de manière à ce qu’il corresponde à leurs propres besoins. Maintenant, il leur faut compter sur les écoles spécialisées installées sur le continent. Diao est arrivé à Monaco à 16 ans, avant que la Fifa ne durcisse son règlement.

Aujourd’hui, il fait partie de ceux qui craignent que les nouvelles règles internationales empêchent les jeunes footballeurs africains d’être compétitifs au plus haut niveau. "Vous avez maintenant des jeunes de 18, 19 ou 20 ans qui vont frapper à la porte des clubs et auxquels on répond que c’est trop tard, qu’ils sont trop âgés pour qu’on les aide à se développer", regrette-t-il.

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Diao comprend bien que la Fifa ait été obligée de réagir face au nombre croissant de jeunes qui se faisaient avoir par de faux agents ou qui se retrouvaient brutalement congédiés par ces mêmes clubs qui les avaient fait venir. Ils seraient des milliers à avoir dû déchanter. Lui-même se souvient avoir vu, quand il était à Liverpool, au début des années 2000, "sept ou huit gamins venir au terrain d’entraînement, dire qu’ils avaient payé un agent et qu’ils étaient maintenant à la rue". "J’étais le seul Sénégalais dont ils avaient entendu parler, alors c’est à moi qu’ils venaient demander de l’aide", raconte-t-il.

Les agents véreux ont su s’accommoder des règlements de la Fifa (l’ONG Culture foot solidaire estime que 15 000 jeunes sont chaque année envoyés en Europe avec de fausses promesses), mais les clubs ont dû changer leur manière de fonctionner et s’astreindre à un peu plus de rigueur. En août dernier, le FC Barcelone, accusé d’infraction dans le recrutement de joueurs mineurs, a été sanctionné. Le club catalan est interdit de transferts jusqu’en 2016.

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Salif Diao a fondé l’école Sport4charity au Sénégal. © JOSE JORDAN / AFP

Le centre de formation des Diambars est situé tout près de la station balnéaire de Saly, à 80 km au sud de Dakar. Créé il y a dix ans par trois anciennes gloires du foot (Patrick Vieira, Bernard Lama et Jimmy Adjovi-Boco) et par un homme d’affaires (Saer Seck), ce complexe ultramoderne accueille une centaine de garçons âgés de 13 à 18 ans qui, en plus d’un entraînement sportif, y reçoivent un enseignement scolaire classique de bon niveau. Les joueurs passés par les Diambars ont de bonnes chances d’être ensuite recrutés par des clubs étrangers.

Du coup, l’ancien joueur algérien Djelloul Habchi, qui avait été associé au projet sénégalais, a ouvert un centre de formation à Ekurhuleni, près de Johannesburg, en Afrique du Sud – un centre pensé sur le modèle des Diambars. "Mais ce n’est pas facile, explique Habchi. Entraîner des jeunes, c’est aussi compliqué que se lancer dans la recherche et le développement dans le secteur médical : c’est extrêmement cher et ça peut ne déboucher sur rien du tout."

À Saly, ce sont 10 000 dollars (près de 8 200 euros) qui sont investis annuellement sur chacun des 100 jeunes sélectionnés. Et même si l’académie touche une compensation de 250 000 dollars dès que l’un de ses joueurs est recruté par un club professionnel, elle rentre difficilement dans ses frais et aurait du mal à boucler ses fins de mois sans l’aide des sponsors et sans la générosité de quelques célèbres mécènes.

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Le modèle européen s’est heurté à des problèmes très africains

Et puis il y a le projet (unique et controversé) de la famille royale du Qatar, l’Aspire Football Dreams – véritable fer de lance de la diplomatie sportive de l’émirat, au même titre que le rachat du Paris Saint-Germain ou que l’accord de partenariat conclu avec le FC Barcelone. Près de 500 000 jeunes ont déjà été testés, et peu importe pour les Qataris qu’on les soupçonne de chercher de nouveaux talents pour leur équipe nationale, ou même d’avoir voulu s’attirer la sympathie des membres du comité exécutif de la Fifa avant qu’ils ne décident de leur confier l’organisation du Mondial 2022. L’Aspire Football Dreams rejette d’ailleurs ces accusations.

Quoi qu’il en soit, le modèle européen s’est heurté à des problèmes très africains. Mareme Ba Gadiaga, responsable administrative des Diambars, explique que "beaucoup de garçons arrivent avec des déficiences osseuses" qui les empêchent de s’entraîner à faire de longues passes sans risquer la blessure. Même rentrer à la maison pour les vacances peut poser un problème, "parce qu’ils peuvent revenir avec un palu ou une fièvre typhoïde". Du coup, "ils rentrent le moins souvent possible durant la première année parce que, sinon, ils devraient tout reprendre à zéro".

Diao, qui a fondé sa propre école au Sénégal (Sport4Charity), dit rencontrer les mêmes problèmes : "On a ici des gamins qui marchent 3 ou 4 km pour venir s’entraîner sans avoir mangé, explique-t-il. Et vous ne pouvez même pas être sûr qu’ils pourront dîner en rentrant parce que chez eux on ne prend qu’un seul repas par jour. Du coup, on choisit de leur faire travailler en priorité les aspects techniques et tactiques."

Certains de ces problèmes se règlent avec un bon suivi médical, un régime alimentaire équilibré et des périodes de repos forcé (chez les Diambars, la sieste est quotidienne ; il faut au moins cela pour que des joueurs grandissent parfois de 20 cm en une seule année). Mais pas tous : un garçon a préféré retarder l’essai qu’il devait passer avec un très bon club français parce qu’il se sentait "mystiquement non préparé"…

La question est aussi de savoir si l’existence et le succès de ces centres de formation ont un impact sur le niveau du foot africain. Et là, les avis sont partagés. Les plus optimistes soulignent que les performances des juniors se sont améliorées. Les Diambars, par exemple, ont fourni l’ossature de l’équipe qui a atteint les quarts de finale aux Jeux olympiques de 2012, tandis que six des joueurs alignés lors d’un récent match contre le Togo sortaient du centre Dakar-Sacré-Coeur.

Salif Diao, pourtant, a un avis plus mitigé. "Ses" jeunes, il a choisi de les faire s’entraîner sur des terrains sablonneux pour faire revivre ce football des rues qui a inspiré sa génération. Les méthodes utilisées dans les académies, affirme-t-il, risquent de sacrifier le flair, le génie africain au profit de la rigueur européenne. "Regardez le Sénégal : c’est vrai que nous avons de meilleures infrastructures et que plus de gens connaissent vraiment le foot. Mais je dirais qu’il y avait autrefois plus de talents qu’aujourd’hui."

On ne peut pas tout miser sur le foot

Diao redoute aussi que la multiplication des académies de foot en Afrique soit à double tranchant. "Nous ne protégeons pas notre identité africaine, parce toutes les écoles entraînent leurs joueurs comme elles le feraient en Europe ; du coup, on produit des joueurs européens au Sénégal."

Les performances des Lions dans les années qui viennent permettront sans doute de trancher. Mais en attendant, l’ancien international sénégalais se dit déjà très fier des jeunes qui, grâce à Sport4Charity, sont partis étudier aux États-Unis.

Chez les Diambars aussi, on sait que l’on ne peut pas tout miser sur le foot. On aime aussi raconter l’histoire d’Abdou Mbacké Thiam : quand il est arrivé à Saly, à l’âge de 13 ans, il était illettré et n’était jamais allé qu’à l’école coranique. Cette année, il a eu son bac et joue dans le championnat sénégalais. Il espère encore se faire une place en Europe, mais sait qu’il doit avoir un plan B, au cas où son rêve ne se concrétiserait pas. "On ne peut pas tous devenir footballeurs, dit-il. Mais on peut tous devenir des hommes."

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