Les larmes de Pauline
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 29 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.
Il a fêté, le 17 décembre, son 78e anniversaire sur un air de tango argentin, avant de sonner la charge cinq jours plus tard devant son gouvernement tétanisé. Nul doute qu’à ce rythme Jorge Mario Bergoglio, le pape François, sera, si Dieu et ses ennemis lui prêtent vie, l’une des figures marquantes de 2015.
Têtes baissées sous la bronca, évêques et cardinaux de la Curie ont reçu pour cadeau de Noël la gifle de leur vie, administrée avec allégresse par un homme qui n’abhorre rien tant que le luxe, les ors et les pompes pontificaux. "Médiocrité", "carriérisme", "hypocrisie", "arrogance", "vie dissolue", "Alzheimer spirituel"…
Et si, en cette fin d’année, nos chefs d’État imitaient leur collègue du Vatican en apostrophant ainsi leurs ministres repus de suffisance ? On peut toujours rêver. En attendant, ce sont ses compatriotes que, dans ce numéro, le président nigérien Issoufou tance en des termes presque identiques. Et ça décoiffe (lire son interview pp. 38-44).
Lui a 88 ans depuis un mois, un âge qui laisse à penser aux Tunisiens qu’ils iront revoter dans moins de temps que la durée de son mandat. Mais entre une Libye acéphale et une Algérie suspendue aux vols médicalisés de l’avion présidentiel, Béji Caïd Essebsi fait figure de meilleur espoir masculin. Curieux quand même qu’un homme aussi âgé, ayant bénéficié à l’intérieur comme à l’extérieur du soutien de tous les acteurs identifiés à l’ancien régime, puisse ainsi incarner le renouveau. C’est pourtant le cas pour une raison simple : ceux qui l’ont élu en connaissance de cause sont issus d’une société qui a profondément changé depuis quatre ans. Atomisée et décervelée hier, organisée et cohérente aujourd’hui. Nos confrères de The Economist ont fait de la Tunisie leur "pays de l’année 2014" : ce n’est évidemment pas un hasard (lire aussi pp. 54-57).
Eux n’ont plus d’âge, mais ils sont, officiellement, 7 400 à l’heure où ces lignes sont écrites. Ce sont les intouchables, les victimes d’Ebola, cette grande faucheuse dont 2015 devrait, on veut le croire, enfin venir à bout. Sous la signature de quatre scientifiques réputés, la célèbre revue médicale britannique The Lancet a publié fin décembre une étude de deux pages, laquelle place le Fonds monétaire international (FMI) parmi les tout premiers responsables de la propagation du virus en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.
Quand le mal est apparu en 2013, explique la revue, ces trois pays en sortie de crise étaient engagés, sous la houlette du FMI, dans des programmes privilégiant les objectifs économiques à court terme sur les dépenses sociales. Frappés de plein fouet par les restrictions de crédits alloués au secteur de la santé, nombre de médecins et d’infirmiers locaux s’étaient envolés, optant pour l’émigration et de meilleurs salaires, ce qui explique en partie la terrible hécatombe des premiers mois de l’épidémie. "On peut creuser le déficit si c’est pour soigner les gens", a fini par admettre, il y a quelques semaines, la Française Christine Lagarde, patronne du FMI. Il aurait fallu y penser plus tôt. Jusqu’ici, ce sont les tombes que l’on creuse.
Elle ne s’est pas réveillée au matin du 23 décembre. Petite dame discrète et rondelette, Pauline Lumumba, 77 ans, vivait par procuration de son époux depuis plus d’un demi-siècle. "Mon mari a été tué par les forces du mal", disait-elle de Patrice Lumumba dans un entretien avec Siradiou Diallo que notre site jeuneafrique.com a eu la bonne idée de mettre en ligne, avant d’ajouter, les larmes aux yeux : "Lorsqu’on a vécu avec un homme comme Patrice, on n’a aucune raison de vouloir vivre avec un autre."
Quand Béchir Ben Yahmed a fondé notre hebdomadaire, Lumumba était prisonnier de Mobutu, avant d’être assassiné sur ordre de la CIA et de l’État belge. Cinquante-quatre ans plus tard, le martyr congolais repose, au même titre qu’une poignée de héros des indépendances, au coeur de notre ADN. Et plus que jamais, alors que surgit l’année 2015, cet héritage nous oblige.
Mais pourquoi donc, insensibles au temps qui passe, continuons-nous à nous appeler Jeune Afrique ? nous demande-t-on parfois. Réponse simple : comme Lumumba mort à 35 ans, l’Afrique ne vieillit pas – elle se renouvelle chaque jour. Et son âme est immuable…
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