Afrique du Sud : nouvelles hésitations autour du projet nucléaire
Le feu vert définitif attendra encore quelques mois. L’Afrique du Sud n’en finit plus de retarder la relance annoncée de son programme nucléaire civil, qui suscite de fortes réticences dans un pays constamment au bord de la rupture électrique.
Formalisé dès 2010, le projet de construction de six à huit nouveaux réacteurs d’une capacité de 9.600 mégawatts est un peu devenu l’arlésienne du paysage économique sud-africain. Tout le monde en parle, mais personne ne la voit.
Alors, lorsque la ministre de l’Énergie Tina Joemat-Petterson a promis il y a peu que l’appel d’offres serait lancé le 30 septembre, tout le monde a cru l’heure H enfin arrivée.
Las ! Juste avant l’échéance, ses services ont annoncé son report sine die pour « compléter le travail d’information nécessaire ».
Cinq ans après la catastrophe de Fukushima (Japon), dans la foulée du lancement du projet britannique de Hinkley Point, ce mégaprojet très attendu devait confirmer la redémarrage de la construction nucléaire dans le monde.
Sur un continent dont les deux tiers des habitants sont privés d’accès à l’électricité, l’Afrique du Sud est le seul pays engagé dans l’aventure atomique civile, avec deux réacteurs en service depuis trente ans à Koeberg (sud-ouest).
Aux yeux de son gouvernement, construire de nouvelles centrales relève de l’ardente nécessité.
Nourri à 90 % par des centrales à charbon très polluantes, le réseau électrique du pays le plus industrialisé du continent frôle en permanence la saturation. Le souvenir de la grande panne de 2008, qui avait contraint les mines d’or à suspendre leurs activités, est resté dans toutes les mémoires.
Prix pharaonique
« Ce pays a besoin de plus de puissance électrique pour développer son industrie et créer des emplois », plaide Knox Msebenzi, directeur de l’Association de l’industrie nucléaire (Niasa).
« Notre parc de centrales à charbon a pris de l’âge et va disparaître par pans entiers entre 2025 et 2035 (…) il est nécessaire de les remplacer, les centrales nucléaires seront parfaitement adaptées pour ça », ajoute t-il.
Sa conviction est toutefois loin de faire l’unanimité.
Principal reproche adressé au programme, son prix. Franchement au-dessus des moyens du pays, selon ses adversaires, qui l’évaluent à plus de 1 000 milliards de rands (65 milliards d’euros).
Il « va saper les efforts du Trésor pour renforcer la confiance et maintenir notre note financière », a tranché un dirigeant de l’Alliance démocratique (DA, opposition), Gordon McKay.
D’autres experts remettent carrément en cause la pertinence économique du nucléaire.
Directeur du centre d’études EE Publishers, Chris Yelland a calculé que le Kw/h produit par les nouveaux réacteurs coûterait 1,3 à 1,5 rand, contre 1,05 rand pour une centrale à charbon dernier cri et 1 rand pour un mélange de solaire, d’éolien et de gaz.
Surtout, assure ce spécialiste de l’énergie, l’Afrique du Sud n’a pas besoin du nucléaire. « Personne ne sait ce que sera la demande d’électricité dans les années à venir. Si vous tablez sur de mauvaises estimations, vous prenez le risque de construire plus gros que nécessaire », redoute-t-il.
« Le choix du nucléaire nous lie les mains pour 70, 80 voire 100 ans à venir, ajoute M. Yelland, « c’est un risque inacceptable ».
Pari sur l’avenir
Plusieurs autres pays africains victimes de délestages incessants lorgnent pourtant vers le nucléaire. Le Nigeria, le plus peuplé du continent et gros producteur d’hydrocarbures, ou le Kenya ont signé des accords de coopération avec la Russie ou la Chine.
Les autorités d’Abuja ont déjà retenu deux sites pour d’éventuels réacteurs mais le projet bute sur le financement.
« Ces réacteurs sont proposés à des pays prêts à tout pour assouvir leur quête de sécurité énergétique. Mais ils vont les emprisonner dans des accords qui vont augmenter le prix de l’électricité et alourdir leur dette », prévient Melita Steele, de Greenpeace.
« Le nucléaire est un énorme pari sur l’avenir, car le prix des énergies renouvelables est de plus en plus compétitif », confirme Edouard Dahome, conseiller du ministre béninois de l’Énergie.
Même pas lancé, l’appel d’offres est déjà contesté devant la justice par plusieurs ONG.
Leurs arguments sont balayés d’un revers de main par le patron d’Eskom, la compagnie nationale d’électricité, numéro 1 incontesté du marché et farouche partisan de l’atome.
« Si nous continuons à nous chamailler au lieu d’avancer, nous nous retrouverons en 2035 dans la même situation qu’en 2008 », s’est agacé la semaine dernière Brian Molefe devant les députés.
En annonçant un nouveau report, le ministère de l’Énergie a rappelé jeudi qu’il restait « totalement engagé dans son programme de construction nucléaire ».
L’expert Chris Yelland s’en amuse. « Ce retard montre que le gouvernement n’a pas encore de réponse à des questions essentielles comme +en a-t-on les moyens ? »
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