Deux ex-détenus tunisiens racontent leurs années de calvaire entre les mains de la CIA

Deux Tunisiens, emprisonnés et torturés dans une des prisons secrètes de l’Agence centrale du renseignement américain (CIA), reviennent, dans un rapport de Human Watch Rights publié lundi, sur les conditions de leur détention.

Lotfi al-Arabi El Gherissi, un des ex-détenus tunisien de la CIA, se confie à l’ONG Human Rights Watch. © Capture d’écran/HumanRightsWatchFR/Youtube

Lotfi al-Arabi El Gherissi, un des ex-détenus tunisien de la CIA, se confie à l’ONG Human Rights Watch. © Capture d’écran/HumanRightsWatchFR/Youtube

Publié le 5 octobre 2016 Lecture : 3 minutes.

Plus d’un an après leur retour en Tunisie, le traumatisme est encore très présent. Arrêtés au Pakistan en 2002 pour suspicion de lien avec Al-Qaïda, détenus pendant 13 ans sans aucune charges ou procès, Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi s’expriment à travers l’ONG Human Rights Watch. Dans un nouveau rapport rendu public le 3 octobre, ils évoquent des techniques de torture non encore documentées à ce jour, rouvrant ainsi l’épineux dossier du programme de détention et d’interrogation de la CIA, auquel a mis fin le président Barack Obama en 2009.

« Ces témoignages terrifiants sur des méthodes inédites de torture employées par la CIA montrent qu’il reste encore beaucoup à savoir sur le programme de torture qu’avaient mis en place les États-Unis », a déclaré Laura Pitter, juriste chargée des questions de sécurité nationale auprès du Programme États-Unis à Human Rights Watch.

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« Chaise électrique », « pendaison » et torture par l’eau

Ridha al-Najjar, 51 ans, avait été le premier prisonnier du « Salt Pit » (ou « Prison noire »), une prison secrète de la CIA en Afghanistan, aujourd’hui fermée. Capturé en 2002 à Karachi (Pakistan), il était soupçonné d’avoir été le garde du corps d’Oussama ben Laden. Lotfi al-Arabi El Gherissi, 52 ans, arrêté à Peshawar à la frontière afghane, était lui aussi accusé d’être membre d’Al-Qaïda ou d’être lié au terrorisme.

Lors d’entretiens séparés ayant eu lieu en Tunisie, dans deux endroits différents, les deux hommes ont chacun affirmé avoir été violemment frappés avec des matraques, fréquemment roués de coups de poings et de pieds. Ils évoquent également une technique de « pendaison » par les poignets, consistant à les enchaîner à une barre fixée au plafond de leur cellule « pendant des périodes répétées de 24 heures », en couche-culotte.

La torture par l’eau était aussi fréquente, selon eux. Alors que Ridha al-Najjar décrit des techniques comme le « waterboarding » (simulation de noyade) et le « water dousing » (douches d’eau froide), pratiquées sur une planche jusqu’à « ce [qu’il] ne puisse plus respirer », Lotfi al-Arabi El Gherissi raconte que sa tête avait été plongée dans un sceau rempli d’eau de manière répétée pour le faire « parler ».

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On leur aurait aussi montré plusieurs fois ce qui ressemblait à une « chaise électrique » (décrite comme une chaise métallique avec des prises attachées à des fils pour les doigts et une extrémité câblée), et Lotfi al-Arabi El Gherissi dit avoir été menacé d’être enfermé dans un cercueil. Aucune mention n’avait été faite de cette « chaise électrique » auparavant, souligne Human Rights Watch.

Contacté par l’ONG, la CIA a répondu par mail le 28 septembre via un de ses porte-paroles, Ryan Trapani, que l’agence « a examiné ses dossiers et n’a rien trouvé qui puisse étayer ces nouvelles allégations ». La CIA n’a pas souhaité s’exprimer d’avantage à ce sujet, et reconnaît que cette période a fait l’objet des plus importants abus de son histoire, a indiqué quant à lui le quotidien britannique The Guardian.

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Des séquelles physiques et morales

Aujourd’hui, les deux hommes souffrent encore, disent-ils, de ces années de détention. « Déprimés », « tristes » et « frustrés », ils ne sont pas aptes à travailler et n’ont reçu aucune aide, médicale ou financière de la part des États-Unis ou du gouvernement tunisien, déplore Human Rights Watch.

Et les douleurs sont encore vives. Ridha al-Najjar, dont les hanches, la cheville et le dos se sont brisés durant ses séances de torture par la CIA, dit aujourd’hui souffrir d’une hernie, d’un ulcère, d’un foie enflé, de problèmes de rein et de lésion auditive. Il vit avec sa sœur et les cinq enfants de cette dernière, explique-t-il. « Je suis son sixième enfant. »

Très pauvre, selon ses propres termes, Lotfi al-Arabi El Gherissi partage la maison familiale délabrée avec sa mère. Il n’arrive plus à dormir à cause de douleurs chroniques et sa vision est limitée et trouble, confie-t-il à Human Rights Watch. Tous deux étaient mariés avant d’être emprisonnés, mais leurs femmes ont demandé le divorce pendant qu’ils étaient en détention.

Le dernier entretien de l’ONG avec Ridha al-Najjar et Lotfi al-Arabi El Gherissi remonte à août 2016. Ils font partie des 119 hommes que les États-Unis ont reconnu avoir placés en détention secrète aux mains de la CIA lorsque la Commission du Sénat sur le renseignement a publié, en décembre 2014, un rapport de synthèse de 499 pages sur le programme de détention et d’interrogatoire de la CIA.

Enfermés pendant plus d’un à « Salt Pit », puis dans différents lieux en Afghanistan, ils ont été rapatrié en Tunisie le 15 juin 2015. Après une brève détention par les autorités tunisiennes ils ont été libérés à la fin de ce même mois.

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