Assa Traoré : « La mort d’Adama est une affaire d’État »
Depuis la mort d’Adama Traoré le 19 juillet dans la cour de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise en région parisienne, après son interpellation, sa sœur Assa se bat pour obtenir « vérité » et « justice ».
Assa Traoré est déterminée. Malgré la douleur, avec ses frères et sœurs elle se bat pour obtenir toute la vérité sur les circonstances de la mort de son frère Adama, survenue peu après son arrestation par les gendarmes de Beaumont-sur-Oise (Île-de-France) le 19 juillet, jour anniversaire de ses 24 ans.
En parallèle de son combat judiciaire, elle prépare des actions associatives en faveur de la jeunesse de la diaspora africaine en France, avec l’appui du gouvernement malien. Pour Jeune Afrique, elle revient sur sa rencontre avec Ibrahim Boubacar Keïta et sur les derniers éléments de cette affaire, qu’elle présente comme l’affaire de tous.
Jeune Afrique : Dans une interview à la télévision française, vous êtes revenue sur l’attitude des autorités françaises après le décès de votre frère, juste après la première autopsie. Pouvez-vous nous dire ce qu’il s’est passé ?
Assa Traoré : « Ce qui m’a choquée, c’est qu’on nous a dit : ‘Nous savons que vous êtes musulmans et que vous enterrez le corps très vite. Nous avons donc contacté Roissy et Air France, un avion part demain. Une personne pourra faire tout de suite tous les passeports pour vos proches qui n’en n’ont pas.’ Mon grand frère est sorti en claquant la porte, nous ne pouvions pas entendre des âneries pareilles. Moi je leur ai dit : ‘Écoutez, mon frère est aussi Français. Et peut-être que nous allons l’enterrer ici. Alors respectez nous, laissez nous nous recueillir. C’est gentil, mais non merci.’
Si cela avait été ma mère, mon père, ou l’un des milliers d’Africains qui ne savent pas toujours bien parler le français et qui ne connaissent pas forcément leurs droits, ils auraient certainement accepté et pris cela comme une faveur. Ils auraient même dit merci.
Au Mali, vous avez rencontré le Président, IBK. Comment cette rencontre a été rendue possible ?
Quand nous sommes allés enterrer mon frère au Mali, j’avais déjà cette idée en tête. C’était incompréhensible que le Mali n’ait pas pris position sur l’affaire, ni même appelé pour présenter ses condoléances auprès de notre famille. L’affaire de mon frère était tellement médiatisée, je ne pouvais pas croire que le gouvernement n’en ait pas entendu parler.
Je suis allée au palais présidentiel, mais le Président était en déplacement à N’Djamena. On m’a précisé qu’il était ‘très occupé’. J’ai dit : ‘Pardon ? Quand il y a eu la tuerie de Charlie Hebdo, le Président a quand même bousculé son emploi du temps ! Si un Français était mort au Mali dans les mêmes circonstances que mon frère, François Hollande aurait envoyé quelqu’un immédiatement. Tant que je ne serais pas reçue, je continuerai de parler aux journalistes et je dirai la vérité, à savoir que si nous ne sommes pas reçus, c’est parce mon frère s’appelait Adama Traoré et qu’il n’était pas Blanc’. Ils m’ont dit d’envoyer un courrier et qu’ils allaient faire le nécessaire.
Vous avez finalement été reçu par le Président. Que lui avez-vous dit ?
Après la polémique sur la nationalité malienne de mon frère, on lui a rappelé qu’elle était incontestable, et que le gouvernement devait prendre la responsabilité de cette erreur de communication. Son grand-père était gouverneur de Kayes. Nous avons deux arrière-grands-pères qui ont quitté le Mali pour combattre avec la France en 39-45. L’un n’a pas survécu, l’autre est rentré avec une jambe en moins. Si Adama n’est pas Malien, il est quoi ? Il s’est excusé et nous a présenté ses condoléances.
Il va vous soutenir dans votre démarche ?
Oui. Il nous a informé de la mise à disposition du ministre de la Justice pour nous aider à ce que la lumière soit faite dans l’affaire. Depuis, nous l’avons rencontré plusieurs fois, et lui avons également soumis notre projet d’association.
De quoi s’agit-il ?
Nous créons une association qui œuvrera pour l’aide à l’accès au droit. Si nous, nous connaissons nos droits,tout le monde n’a pas cette chance. Nous voulons dire aux gens qui ne sont pas forcément dans la même situation que nous : « Vous avez des droits ! » Au-delà de cette assistance juridique, nous souhaitons développer dans le cadre de cette association des projets professionnels pour les jeunes, entre le Mali et la diaspora africaine en France. Adama est parti jeune, à 24 ans, il avait plein de choses à accomplir.
Si Adama n’est pas Malien, il est quoi ?
À travers son nom, on veut accompagner des jeunes dans leur avenir, leur dire qu’il n’est pas forcément entre les mains de la police. Car il ne faut pas se voiler la face : la majorité des jeunes interpellés, et parfois tués, sont issus de l’immigration. Ils sont français, mais on leur rappelle qu’ils sont immigrés. Nous voulons leur dire qu’il n’y a pas seulement la France, il y a l’Afrique aussi. On commence par le Mali, et puis pourquoi pas, d’autres pays dans le monde. L’État malien a répondu favorablement à notre requête et nous a demandé de faire remonter des projets.
Quelles sont les prochaines échéances de l’enquête ?
Le dépaysement, la mise en examen des gendarmes, l’analyse du sang présent sur le t-shirt et celle des vidéos. Nous allons certainement organiser un rassemblement fin octobre. On fera tout pour avoir la mise en examen des gendarmes.
Les gendarmes sont-ils toujours en exercice ?
Oui mais plus sur le même secteur. La nouveauté c’est que leurs noms auraient été tagués sur les murs de la gendarmerie et que leurs vies seraient menacées. Ils vont donc déménager. Mais nous aussi nous devrions être relogés. Nous recevons des menaces de mort anonymes quotidiennement assorties d’insultes racistes. Certains ont même fait écrire leurs lettres par des enfants… On porte plainte dès que l’on peut, mais nous n’avons pas que cela à faire. Ces gens n’ont pas de contrôle sur moi, je n’ai pas peur. Dans toute cette affaire, la seule chose que les différents acteurs n’ont pas pu contrôler, c’est nous.
Quand on a pas la vérité ou la justice, on est doublement meurtris. Avec la mort de notre frère, ils ont pris le contrôle de nos sentiments, un contrôle immédiat, avec notre tristesse. Mais on leur refuse le contrôle de la vérité et de la justice. Il ne peuvent pas contrôler cela, cela serait une deuxième mort.
Le président François Hollande s’est-il manifesté ?
C’est toujours le silence radio. Il aurait laissé entendre qu’il nous recevrait. S’il nous reçoit parce qu’il compte faire quelque chose après, alors nous le rencontrerons. Mais s’il nous reçoit en raison de la pression ou juste pour dire qu’il a reçu la famille, ça ne nous intéresse pas. Trois policiers ont été blessés lundi, il s’est immédiatement exprimé. Que se passe t il ? On a clairement un Président qui, par son silence, dit que les gendarmes ont le droit de tuer, qui dit : ‘Je suis de leur côté. En revanche vous, vous n’avez pas le droit de les toucher.’
Il faut qu’on se lève tous, il faut une révolution. Là, ils vont nous entendre. Aujourd’hui, nous sommes dans un pays où nous n’avons plus le droit de nous habiller, de manger, de circuler ou de dire ce que l’on veut. Quand j’entends les propos de Henry de Lesquen sur « les nègres », et qu’au final ça ne choque pas plus que ça… Nous devrions tous être dans la rue. À ce rythme là nous finirons dans des bus avec des places réservées aux nègres.
Votre combat est aussi racial ?
Non. Ça serait trop facile. On nous taxerait de communautaristes. Et de toute façons il ne s’agit pas de ça ici. On veut juste la vérité. Et quoiqu’il arrive, le racisme en France existe. Mais nous, si nous choisissons cette direction, on va nous enfermer là-dedans. Les personnes qui nous soutiennent le font pour obtenir la vérité. Après, la cause raciale en elle-même est très bien défendue par de nombreuses associations. Ils en parlent très bien, on ne va pas en rajouter. Mais oui, le racisme aujourd’hui est plus décomplexé. Cela nous touche d’autant plus que nous sommes une famille très unie, dans laquelle il y a toutes les couleurs.
La mort d’Adama est donc l’affaire de tous, et j’ajouterais que c’est une affaire d’État aujourd’hui. Si nous en sommes arrivés à nous défendre comme on le fait, c’est que l’État cautionne tout cela. Ce que nous faisons, les autorités n’arrivent pas à le contrôler. Comme je le dis, mon frère est mort dans les locaux de la gendarmerie. C’est un endroit symbolique, qui représente l’État, la défense de la France et du monde. On sait que le combat va être dur. »
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