Dix ans après sa création, où en est l’État islamique en Afrique et au Maghreb ?
Le 13 octobre 2006, le Conseil consultatif des moudjahidines en Irak proclamait l’ « État islamique d’Irak ». Dix ans après, celui-ci s’est développé bien loin de son berceau. S’il sévit toujours en Irak et en Syrie, il s’est lancé à la conquête de l’Afrique, avec plus ou moins de succès. Jeune Afrique fait le point.
Publié le 13 octobre 2016 Lecture : 6 minutes.
Pouvait-on imaginer, il y a dix ans jour pour jour, que l’État islamique d’Irak (EII) deviendrait l’organisation terroriste la plus redoutée de la planète en 2016 ? Sans doute pas. Certes, le Conseil consultatif des moudjahidines en Irak, formé de cinq groupes, dont Al Qaïda en Irak, se considère déjà à l’époque comme le véritable État irakien. Mais l’organisation est encore loin de son apogée.
Depuis, elle s’est étendue en Syrie, à partir de 2012, puis est devenue, le 9 avril 2013, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui proclamera le rétablissement du califat sous le nom d’État islamique en juin 2014. Elle s’est également attaquée à l’Afrique, où elle affirmait, en juin dernier, disposer de mouvements affiliés dans au moins sept pays.
Mais qu’en est-il réellement ? L’État islamique peut-il revendiquer des implantations au Maghreb, dans le Sahel, en Afrique de l’Est, dans le bassin du lac Tchad ? Jeune Afrique fait le point.
Cartographie de la présence de l’État islamique en Afrique
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En Libye
C’est sans doute le point le plus chaud concernant l’État islamique en Afrique. Créée par des jihadistes libyens de retour de Syrie, le groupe « Al-Majilis ach-Choura ach-Chabab al-Islam » (Conseil consultatif de la jeunesse islamique) prête allégeance à l’État islamique en octobre 2014. Ce serment est accepté par Abou Bakr al-Baghdadi dans un communiqué le 13 novembre suivant.
Rapidement, les islamistes revendiquent trois provinces du pays, le Cyrénaïque, le Fezzan et la Tripolitaine et contrôlent les villes de Syrte, Tobrouk et Derna au début de l’année 2016. Mais, sous les assauts des forces du général Haftar et après les frappes aériennes, notamment américaines, leur territoire se réduit à la ville de Syrte.
L’État islamique n’y occupe aujourd’hui plus que quelques kilomètres carrés, tandis que la coalition anti-jihadiste semble prête à donner l’assaut final. Toutefois, si la Wilayat Tarabulus (dans la Tripolitaine) et la Wilayat al-Barqah (dans le Cyrénaïque) ont été quasiment défaites, la « Wilayat Fizzan », qui opère dans le désert du sud-ouest, conserve une capacité de nuisance et, surtout, de regroupement des combattants dans la zone frontalière entre le Tchad, le Niger, l’Algérie et la Libye.
En Égypte
Les activités de l’EI se concentrent dans le désert du Sinaï, où Ansar Bait al-Maqdis (les Partisans de Jérusalem), actif depuis 2001, lui a fait allégeance en novembre 2014 avant de devenir la « Wilayat Sayna », la « province du Sinaï ». Les hypothèses les plus pessimistes parlent de plus de 2000 combattants capables de mener des opérations complexes, dont des volontaires étrangers africains ou saoudiens.
S’il s’est spécialisé dans les attaques sur les bâtiments des forces de police ou de l’armée égyptienne, dans une région où les tensions sociales, dues à la corruption et aux inégalités, sont fortes, le groupe n’a pas hésité à opérer une multitude d’autres attaques. Il revendique notamment l’explosion d’un bus de touristes en février 2014 ou encore celle du vol Airbus A321 Charm el-Cheikh-Saint-Petersbourg d’une compagnie russe le 31 octobre 2015. Le crash avait fait 224 victimes.
La « Wilayat Sayna » a cependant payé ses attaques au prix fort. L’armée a lancé des opérations contre-terroristes. Le 4 août, elle a notamment annoncé avoir abattu 45 de ses combattants, dont son leader Abu Duaa al-Ansari. Auparavant, plusieurs de ses chefs avaient subi, toujours selon l’armée, le même sort, comme Ashraf Ali Hassanein Gharabali, en novembre 2015, ou Ibrahim Mohamed Freg, en décembre 2013. Néanmoins, la riposte de l’armée égyptienne n’a pas contribué à apaiser les tensions avec les populations du Sinaï.
En Tunisie
Si l’État islamique n’est pas territorialement implanté en Tunisie, le pays reste le principal pourvoyeur de combattants étrangers pour l’organisation. Selon l’ONU, ils seraient 1 500 Tunisiens dans les rangs de l’EI, un chiffre ramené à 1 000 par le ministère de la Défense tunisien, ce qui fait craindre un retour de flammes, notamment après les défaites des jihadistes en Libye.
L’armée tunisienne a certes installé une zone tampon et un fossé de 170 km au niveau de la frontière avec la Libye mais les incursions restent possibles, comme à Ben Gardane, ville de tous les trafics avec la Libye, en mars 2016. « Il y a un risque que la Tunisie devienne une base, non seulement de recrutement, mais aussi d’opérations pour l’État islamique », explique Ryan Cummings, directeur de l’Institut d’analyses sud-africain Signal Risk.
En Algérie
L’État islamique dispose en Algérie de la « Wilayat Jazair », plus connue sous le nom de Jund al-Khilafah (Soldats du califat). Celle-ci s’est notamment fait connaître par l’assassinat de Hervé Gourdel en septembre 2014, mois durant lequel elle fait scission avec AQMI et prête allégeance à l’État islamique, auquel le nom « califat » fait référence. S’il s’est revendiqué « province » de l’EI en Algérie, le groupe n’a cependant jamais contrôlé de territoire.
L’armée algérienne affirme officiellement avoir éradiqué le groupe en éliminant leur chef, Abou Abdallah Othman al-Asimi, et près de 30 éléments terroristes. Elle avait également annoncé avoir abattu son prédécesseur, ancien d’Aqmi, Abdelmalek Gouri, le 22 décembre 2014. « La portée limitée des actions de la « Wilayat Jaza’ir » suggère que la main-mise d’Aqmi sur le jihadisme en Algérie n’est pas prêt de prendre fin », analyse Ryan Cummings.
Au Sahel
Au Sahel, l’influence d’Aqmi s’est en partie traduite par la lutte d’influences entre l’organisation et sa rivale Aqmi dans la zone. On l’a notamment observé autour de la personne d’Adnane Abou Walid Al-Sahraoui, ancien porte-parole et membre du groupe Al-Mourabitoune, fondé en août 2013 sous l’égide de Mokhtar Belmokhtar.
L’ancien du Polisario, d’Aqmi et du Mujao est en effet le premier chef jihadiste sahélien d’envergure à prêter allégeance à l’État islamique en mai 2015. Il va s’opposer à Belmokhtar, qui réaffirme de son côté son allégeance à Al-Qaïda et à son leader Ayman al-Zawahiri. Alors que les deux factions se combattent à plusieurs reprises, Al-Mourabitoune se scinde en deux, une centaine de combattants prêtant allégeance à l’EI, dont les nouveaux fidèles se baptisent en 2016 « Islamic State in the Greater Sahara » (ISGS). Le groupe a revendiqué sa première attaque au Burkina Faso à Markoye début septembre 2016.
Cependant, les fidèles du Saharaoui restent peu nombreux et l’État islamique ne les a d’ailleurs pas encore reconnus comme membres d’une composante officielle de son organisation. Al-Sahraoui a cependant menacé en mars 2016, dans un message à Al-Jazeera de s’en prendre à la mission des Nations unies au Sahara occidental, au gouvernement marocain ou encore aux entreprises et aux touristes étrangers.
Dans le bassin du lac Tchad
L’État islamique tente depuis des années de s’implanter dans la région. En mars 2015, l’organisation frappait un grand coup alors que Boko Haram annonçait prendre le nom d’« État islamique en Afrique de l’Ouest ». La « secte » nigériane a tout d’abord reçu l’appui de l’EI, notamment en matière de communication et de techniques de combat. Mais l’implantation a été plus difficile que prévu.
Une scission semble aujourd’hui consommée entre le leader historique, Aboubakar Shekau, peu à peu rejeté par l’EI pour ses frasques, et son successeur, adoubé par l’organe officiel de l’organisation du Levant, Abou Musab Al-Barnawi. Ce dernier a d’ailleurs écrit une tribune dans le magazine de l’EI, Al Nabaa, début août, sans faire une seule fois allusion à Shekau.
Alors que les jihadistes nigérians se sont recroquevillés sous les attaques de la Force multinationale composée des armées nigérianes, nigériennes, camerounaises et tchadiennes, le leadership de Boko Haram pose question. Si l’État islamique tente de reprendre en main sa « province » en Afrique de l’Ouest, l’affaire n’est pas si simple. Dans une vidéo diffusé en août, il pointe le manque de radicalisme d’Al-Barnawi, mais ne renie pas son allégeance au « calife » al-Baghdadi. En clair, Shekau se veut toujours le chef.
En Afrique de l’Est
La domination d’Al-Qaïda dans la région de l’Afrique de l’Est n’est pas remise en cause. Une scission a bien eu lieu au sein des Shebab, affiliés à l’organisation d’Ayman al-Zawahiri, en octobre 2015, mais celle-ci a été de faible ampleur. Le commandant dissident, Abdiqadir Mumin, n’est pas parvenu à entraîner plus d’une centaine de soutiens dans son allégeance à l’État islamique.
Il s’est retiré avec ses quelques fidèles dans la région du Puntland, pour se mettre à l’abri des attaques des forces anti-jihadistes mais également des Shebab eux-mêmes. Quand à la « Jahba East Africa » qui a plusieurs fois annoncé son allégeance à l’EI et qui est composée d’anciens Shebab, elle n’a pour l’instant que quelques activités très limitées au Kenya et en Tanzanie, qui se bornent bien souvent à de la communication.