Afghanistan : fin de partie à Kaboul pour Washington ?
En théorie, les forces de la coalition occidentale devront s’être totalement retirées d’Afghanistan en 2016, au risque de laisser le champ libre à un retour des talibans. En pratique, c’est beaucoup moins sûr. Voici pourquoi.
La mission de la Force internationale d’assistance à la sécurité mise en place après les attentats du 11 septembre 2001 vient de prendre fin. C’est le conflit le plus long et le plus coûteux – 1 000 milliards de dollars (800 milliards d’euros) – de toute l’histoire des États-Unis. Il a fait près de 3 500 victimes du côté des troupes alliées et au moins 21 000 du côté afghan.
Tout le monde envisage à présent l’avenir avec un mélange de crainte et d’espoir. Chassés du pouvoir en 2001, les talibans réussiront-ils à le reprendre ? Les États-Unis reviendront-ils sur leur décision de se retirer d’Afghanistan d’ici à 2016 ? Ils ont tenté d’instaurer dans ce pays encore tribal une démocratie à l’occidentale et entrepris de moderniser l’économie et la société.
Les résultats ne sont pas négligeables. Des millions de jeunes filles ont ainsi pris le chemin de l’école. Les téléphones portables et les médias ont connu un essor phénoménal. Et l’économie a, dans un premier temps, bénéficié d’une croissance à deux chiffres qui n’était due qu’en partie au commerce de l’opium. Reste que, globalement, l’intervention occidentale ne peut être considérée que comme un échec.
Il est encore impossible de dire si Ashraf Ghani, le nouveau président, parviendra à réduire la corruption, l’une des principales causes de l’instabilité.
Les soldats de l’Otan, dont le nombre a culminé à 140 000 en 2009, ne sont plus que 13 000. Les talibans reviennent en force et pas seulement dans les zones rurales. En novembre, douze attaques d’envergure ont eu lieu dans la capitale. "La guerre est loin d’être finie", estime Sarah Chayes, une ancienne conseillère du Pentagone.
À ce stade, il est presque impossible de dire si Ashraf Ghani, le nouveau président, parviendra à réduire la corruption, l’une des principales causes de l’instabilité. Il semble certes plus énergique et efficace que Hamid Karzaï, son prédécesseur. Et il a nommé Premier ministre Abdullah Abdullah, son rival. Mais les controverses qui ont marqué son élection ne lui ont pas encore permis de mettre en place un gouvernement. Et les caisses de l’État sont vides.
>> Consulter : Afghanistan, impossible démocratie
Pourquoi les États-Unis et leurs alliés retirent-ils l’essentiel de leurs troupes avant d’avoir écarté la menace des talibans ? Après le 11 Septembre, la quasi-totalité des responsables américains ont approuvé l’intervention en Afghanistan. L’opinion y était elle aussi favorable. Tel n’est plus le cas. Tous les sondages montrent qu’une majorité d’Américains la considèrent désormais comme un échec.
Sur le plan de la sécurité, Barack Obama est confronté à un problème du même ordre qu’en Irak en 2011. En annonçant que toutes les forces auraient quitté l’Afghanistan en 2016, il espérait pouvoir porter à son crédit la fin de cet interminable conflit. Hélas, la chute de Mossoul et la montée en puissance de l’État islamique en Irak ont conduit à s’interroger sur le bien-fondé du retrait américain.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un scénario comparable est-il à craindre en Afghanistan ? Obama a discrètement prolongé au-delà de 2015 la mission de 10 000 soldats chargés de combattre Al-Qaïda mais aussi les talibans. Des pressions s’exercent sur son administration pour que des forces soient maintenues sur le terrain après l’échéance de 2016.
> > Lire aussi : Moyen-Orient: la poudrière
Cause perdue
Chuck Hagel, le secrétaire à la Défense sortant (il a démissionné fin novembre), réfute toute analogie entre la situation en Afghanistan et celle de l’Irak en 2011. "Les Afghans souhaitent notre présence, estime-t-il. Ils veulent que nous les aidions, que nous les conseillions, que nous les formions." De même, beaucoup à Washington considèrent que, grâce à la guerre, des progrès considérables ont été accomplis, de la réduction de la mortalité infantile à l’éducation des jeunes filles. "Si l’opinion continue de penser que l’Afghanistan est une cause perdue, cela risque de devenir le cas", prévient le démocrate Carl Levin, président de la commission des forces armées du Sénat.
Membre de Heritage Foundation, un think tank conservateur, Lisa Curtis est du même avis : "L’Afghanistan n’est pas une cause perdue." Les forces armées afghanes, qui comptent 352 000 hommes, ont selon elle besoin pour contrer les talibans d’une aide comprise entre 4 milliards et 6 milliards de dollars par an. "Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas maintenir ici 10 000 hommes pour un temps indéfini, estime-t-elle. N’en avons-nous pas 30 000 stationnés en Corée ? Si nous nous désengageons, il ne fait aucun doute que les talibans reprendront le contrôle du pays en deux ou trois ans."
Même les Afghans favorables au départ des forces alliées savent que l’aide étrangère est essentielle.
Même les Afghans favorables au départ des forces alliées savent que l’aide étrangère est essentielle. À l’exception de l’opium, ce pays enclavé n’exporte à peu près rien. Les 16 milliards de dollars pour la période 2012-2016 récemment promis par les donateurs ne seront pas superflus.
Que faire ? Président du groupe Moby, propriétaire de la principale chaîne de télévision du pays (Tolo), Saad Mohseni juge que la population afghane, jeune et pleine d’espoir, est hostile au retour des talibans. Un succès de la communauté internationale pourrait servir d’exemple à toute la région. "Voilà pourquoi elle doit persévérer", dit-il. À l’inverse, l’analyste Haroun Mir estime que l’Otan est restée trop longtemps. "Nous ne pouvons pas compter éternellement sur l’aide étrangère", estime-t-il. L’une des conséquences heureuses du renversement du régime taliban a été la floraison des activités artistiques. Surtout théâtrales.
Récemment, un sosie de Hamid Karzaï a joué dans Un ennemi du peuple, pièce de Henrik Ibsen qui met en garde contre les dangers d’une mauvaise gouvernance et de la corruption. "Les meilleures oeuvres sont celles qui reflètent la société dont elles sont issues, estime Hussein Zada, le metteur en scène. Mais l’année prochaine, j’espère monter une pièce plus légère, peut-être une comédie de Molière." Et si, après trois décennies de violence et de peur, l’Afghanistan devenait enfin un "pays normal" ? Pour l’instant, ce n’est pas encore le cas.
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