En Algérie, Abdelmalek Sellal fait le job
Consensuel, loyal et drôle, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a la confiance du président Bouteflika depuis plus de deux ans. On le dit malgré tout partant prochainement, à l’occasion d’un remaniement gouvernemental. Portrait d’un grand commis de l’État qui semble n’avoir d’autre ambition que de mener à bien sa mission.
La scène se déroule dans la cabine de l’avion présidentiel, à 10 000 m d’altitude, en décembre 2008. Abdelaziz Bouteflika fait venir dans son salon privé Abdelmalek Sellal, alors ministre des Ressources en eau. "J’ai beaucoup d’affection pour vous, lui dit-il en substance. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-moi signe…" Badin, comme à son habitude, le ministre répond : "Envoyez-moi dans une ambassade…"
Bouteflika sourit, avant d’inviter Sellal, d’un ton tout aussi badin, à disposer. Le 3 septembre 2012, c’est une tout autre scène qui se déroule cette fois à El-Mouradia, siège de la présidence. Mohamed Rougab, secrétaire particulier du chef de l’État, téléphone au Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour lui signifier son limogeage. Aussitôt après avoir raccroché, il informe Abdelmalek Sellal qu’il est lui aussi appelé à d’autres fonctions.
Pas dans une ambassade, comme il en avait formulé le souhait dans l’avion du raïs, mais à la tête de l’exécutif. Plusieurs années auparavant, en mars 2003, alors qu’il prenait le thé dans son bureau ministériel avec une journaliste, celle-ci avait prophétisé : "On vous prépare à être chef du gouvernement." Sellal, dans un éclat de rire : "Non, je n’accepterais pas. C’est trop de travail." Dix ans plus tard, il n’osera ou ne saura dire non au président.
C’est bien connu, il suffit d’un petit rien pour qu’Alger bruisse de rumeurs. En cette fin 2014, qui a vu la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat, ce sont les deux voyages successifs de Sellal à Paris (4 et 5 décembre) puis, une semaine plus tard, à Londres qui ont alimenté la rumeur, exercice national favori des Algériens. Un important remaniement de l’équipe gouvernementale serait en cours.
Sellal, 66 ans et père de trois enfants, devrait être débarqué à la fin du mois, une fois la loi de Finances signée par le président, et remplacé par l’actuel ministre de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb. Autre rumeur : Ahmed Ouyahia, "l’homme des basses besognes", pourrait être rappelé à la tête du gouvernement en raison de la chute des cours du pétrole. Bref, dans les rédactions ou les restaurants huppés de la capitale, on a d’ores et déjà enterré Sellal. L’intéressé, lui, reste de marbre. "Je fais mon job et je dors bien", répète-t-il à l’envi à ceux qui lui rendent visite. Deux ans et quatre mois après sa nomination, il est donc bien parti pour rester, quand bien même Bouteflika, selon un ami de cinquante ans, "est réputé pour mettre souvent son clignotant à gauche pour tourner à droite".
Au téléphone avec le président
Sellal arrive à son bureau, situé au premier étage du palais du gouvernement, fortement secoué par un attentat kamikaze en avril 2007, dès potron-minet. Revue de presse, lecture et annotation des rapports et fiches (pas plus de deux feuillets) préparés par ses chargés de mission, audiences, réunions avec son staff, concertations ministérielles ou interministérielles, signatures des piles de parapheurs, coups de fil incessants…
Le marathon s’étire jusqu’à 20 heures, voire parfois au-delà dans les moments de crise, comme ce fut le cas lors de l’attaque terroriste contre le site gazier d’In Amenas, en janvier 2013. Peu porté sur les brainstormings, Bouteflika communique avec Sellal par téléphone, dont il est un utilisateur patenté. En cas d’urgence ou lorsqu’une question ne peut être tranchée par un coup de fil, il est convoqué à la résidence Zeralda, sur le littoral ouest d’Alger, vaste domaine de trois bâtiments transformé en villa médicalisée et en annexe de la présidence.
C’est là que réside le chef de l’État, qui a déserté El-Mouradia quelques semaines avant son AVC, survenu en avril 2013. Sellal coordonne ainsi les activités de ce dernier en concertation avec Saïd Bouteflika, frère cadet et conseiller du président, Mohamed Rougab et, même si les deux hommes ne s’apprécient guère, Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet de la présidence. "Contrairement à Ahmed Ouyahia, qui est davantage un homme de dossiers, Sellal privilégie les contacts humains, commente un de ses anciens collègues. Il reçoit énormément, y compris des responsables en rupture de ban, écoute et dialogue. Il est accommodant, pas du tout dogmatique ni psychorigide.
Mais sous ses airs débonnaires, c’est un fin connaisseur des réalités locales, notamment le fonctionnement des collectivités, ainsi que les rapports de force à l’intérieur du pays. Du coup, ses ministres ne lui racontent pas d’histoires et, à l’inverse de son prédécesseur, qui traînait comme des boulets les superministres qu’étaient Abdelhamid Temmar, Chakib Khelil ou Abdellatif Benachenhou, il a la confiance du président."
Sellal, énarque au long CV
Quand on déroule le CV de Sellal, on comprend mieux pourquoi le choix s’est porté sur cet énarque, promotion 1974 section diplomatie, pour diriger le gouvernement. Avec lui, l’expression "commis de l’État" n’est point galvaudée. Natif de Guenzet (Petite Kabylie, région natale du général "Toufik", patron du Département du renseignement et de la sécurité, DRS), Sellal a grandi à Constantine.
Successivement chef de daïra (sous-préfet) à Tamanrasset – là où s’est installée son épouse, Farida, ingénieur télécoms et artiste photographe, qui y a créé une association (Sauver l’Imzad) -, préfet dans cinq départements (Adrar, Sidi Bel Abbès, Oran, Boumerdès et Laghouat), conseiller ministériel, directeur de cabinet au ministère des Affaires étrangères, ambassadeur à Budapest, Sellal a roulé sa bosse dans la grande administration.
Mais il ne mettra les pieds dans les arcanes du vrai pouvoir qu’à l’automne 1998. Fraîchement débarqué de Budapest, dont il appréciait les charmes des terrasses, il hérite du ministère de l’Intérieur, avec comme mission principale l’organisation de la présidentielle de 1999. À partir de cette date, il dirigera plusieurs ministères (Jeunesse et Sports, Transports, Travaux publics) avant de piloter, à trois reprises (2004, 2009 et 2014), la campagne électorale d’Abdelaziz Bouteflika.
"À l’époque, le président Liamine Zéroual l’avait choisi parce qu’il était consensuel, conciliant, technocrate et n’appartenait à aucune chapelle politique", avance un haut gradé à la retraite, membre du staff d’un candidat de l’opposition. "C’est ce qui explique que l’armée et Bouteflika ont fait appel à lui en 2012 pour diriger le gouvernement avec une feuille de route claire : assurer la stabilité sociale au lendemain du Printemps arabe", décrypte une vieille connaissance de Sellal. Et instiller un brin d’ouverture, notamment sur le plan économique. Car en la matière également, les positions de Sellal sont beaucoup plus souples que celles de ses prédécesseurs. "Peu importe, nous a-t-il confié un jour, les raisons qui nous ont ralentis.
L’essentiel est d’être aujourd’hui déterminés à accélérer les réformes, à sortir du tout pétrole, notre plus grand problème depuis 1962, mais aussi à arrêter de considérer que secteur privé égale ennemi." Apprécié ou moqué, le Premier ministre algérien ne laisse pas indifférents ses interlocuteurs. Un chef d’État africain qui l’a croisé lors du dernier Mondial au Brésil le trouve "naturel et décontracté".
François Hollande, avec lequel il s’est entretenu à plusieurs reprises, dit qu’il est "fort sympathique", alors qu’un ex-ambassadeur avec lequel il prend souvent le thé le juge d’un "commerce agréable, sérieux dans le travail, bon cuisinier mais mauvais conducteur, car il déteste prendre le volant". "Il n’a pas d’araignée au plafond, souligne aussi un de ses visiteurs. Il a le contact facile, possède un certain pouvoir de séduction, même s’il peut paraître borderline dans sa manière de s’exprimer."
Des sorties médiatiques incontrôlées
Il ne laisse pas non plus indifférents ses compatriotes. Ses bons mots, ses néologismes et les libertés qu’il prend parfois avec l’arabe ou le français l’exposent régulièrement aux railleries et aux moqueries, notamment sur les réseaux sociaux. Hélas, ses sorties médiatiques incontrôlées ne prêtent pas toujours à sourire, comme ce fut le cas lors de la dernière campagne électorale avec sa mauvaise blague sur les Chaouis : "Tu sais ce qu’on dit chez nous, à Constantine ? "Chaoui, hachek" ["Chaoui, sauf ton respect"]."
Pour les habitants fiers et ombrageux des Aurès, ces propos relèvent de l’insulte. Résultat : Sellal a été déclaré persona non grata à Batna, capitale des Chaouis. Si l’affaire est close, elle n’en a pas moins écorné l’image du Premier ministre. Mais il en faut davantage pour déstabiliser ce grand blagueur devant l’éternel.
Comme ce fut le cas avec tous ses prédécesseurs, on soupçonne souvent, à tort ou à raison, Abdelmalek Sellal de viser la succession du raïs. Alors que la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat faisait encore l’objet de débats à l’automne 2013, des médias spéculaient sur l’avenir de son Premier ministre. "Sellal candidat du pouvoir pour succéder à Bouteflika", juraient certains à l’époque. "Je n’ai aucune ambition présidentielle, nous confiait pour sa part l’intéressé au printemps 2013. Je suis fidèle au président et je ne trahirai jamais sa confiance."
Fidèle sans doute, guère dévoré par l’ambition peut-être, mais Sellal sait ce qu’il en coûte lorsqu’un collaborateur de Bouteflika laisse un peu trop deviner sa volonté de se forger un destin national. En mai 2003, Ali Benflis avait été brutalement débarqué de la chefferie du gouvernement parce que le président le soupçonnait de préparer sa candidature à la présidentielle de 2004.
Ahmed Ouyahia subira le même sort en 2006, car certains, dans l’entourage du chef de l’État, pensaient qu’il marchait dans les pas de Benflis, malgré ses états de service et une fidélité jamais prise en défaut. On dit même que c’est une couverture de J.A. qui scella sa chute. À la fois serein et badin, Abdelmalek Sellal, lui, nourrit toujours la même ambition : "Quand j’aurai terminé ma mission au gouvernement, j’irais bien finir ma carrière dans une ambassade."
Premier ministre : attention fragile
"Le grand défaut des Premiers ministres de Bouteflika, c’est Bouteflika", ironise un initié des arcanes du pouvoir algérien. Brouilles, bouderies et limogeages secs, les rapports entre le président et ses chefs de gouvernement n’ont pas toujours été empreints de sérénité. D’abord parce que Bouteflika est un fervent partisan d’un système qui concentre presque tous les pouvoirs entre les mains du président, reléguant ainsi le patron de l’exécutif au rang de "simple collaborateur".
Ensuite parce que les intrigues de palais, via l’entourage du raïs (ministres, courtisans, conseillers ou membres de la famille), ont parfois eu une influence néfaste sur les relations entre les deux têtes de l’exécutif. Enfin parce que, de 1999 à 2010, tous les chefs de gouvernement devaient composer avec un carré de superministres (Yazid Zerhouni, Abdelhamid Temmar, Abdellatif Benachenhou et Chakib Khelil) qui ne rendaient compte qu’au président de la République.
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