Après Cuba, l’Iran, la Palestine
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 29 décembre 2014 Lecture : 4 minutes.
Retenons cette date du 17 décembre 2014 : elle marque un tournant dans les relations internationales et, sachons-le, ce premier tournant pourrait en annoncer d’autres tout aussi positifs et qui sont susceptibles de s’amorcer dès 2015.
Ce 17 décembre est le jour de la cessation des hostilités entre les États-Unis et Cuba, événement bénéfique pour ces deux pays – américains, inégaux et voisins -, pour la région dans son ensemble, peut-être même pour le reste du monde.
Plusieurs mois de négociations menées dans le plus grand secret, et qui a été bien gardé, ont été nécessaires pour que les États-Unis et Cuba enterrent la hache d’une guerre larvée qui les oppose depuis plus d’un demi-siècle.
C’est un match nul, dans tous les sens du terme !
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L’embargo que les États-Unis vont enfin desserrer avant de le lever – seul le Congrès peut en décider – a été décrété contre Cuba en février 1962 par le président John Kennedy. Mais la décision de se préparer à envahir militairement l’île pour renverser le régime des "Barbudos" qui venait de s’y installer avait été prise au début de 1960 par son prédécesseur, Dwight Eisenhower.
La CIA en a été chargée, et ce fut le fiasco de la baie des Cochons.
C’était au début des années 1960 ; depuis, onze présidents américains successifs ont cherché à se débarrasser par tous les moyens, sans y parvenir, du régime personnifié par les frères Castro. Qui ne se souvient du paroxysme de ce conflit inégal qui, en octobre 1962, mena le monde au bord de la guerre nucléaire ? Ce fut la "crise de Cuba", dramatique, qui a opposé John Kennedy et les États-Unis à Nikita Khrouchtchev et l’URSS.
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La crise s’est dénouée sans guerre, mais rien n’a été résolu : Fidel Castro et son régime ont continué à narguer la grande Amérique, à la défier ; n’ayant pas réussi à les déloger, celle-ci s’est employée par l’embargo et le boycott à leur rendre la vie aussi difficile que possible.
Mais, sans le vouloir, elle leur a fourni l’argument principal pour affermir leur mainmise sur le pays et entretenir auprès des jeunes du monde entier le mythe de "grande victime de l’impérialisme yankee" et de "premier résistant à l’hégémonie US".
Contre vents et marées, Fidel Castro a fait de Cuba, au large des côtes américaines et de la Floride, une "démocratie populaire" dirigée d’une main de fer par un parti communiste de type stalinien. Il a collectivisé les moyens de production, bureaucratisé l’économie, instauré un régime policier et laissé le pays se vider d’une partie de ses forces vives : près de 2 millions de Cubains, soit près de 20 % de la population, ont émigré pour s’installer principalement aux États-Unis et dans les pays hispaniques.
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Réussite ou échec ? Une certaine réussite politico-sociale, un cuisant échec économique. On raconte, mais c’est de l’humour à la cubaine, qu’à cette question Fidel lui-même, pince-sans-rire, a pris le temps de la réflexion ou fait semblant, avant de répondre :
"À notre actif, trois réussites incontestables ; l’éducation : notre peuple est indiscutablement le mieux éduqué de la région ; la santé : notre système est bon, nos médecins sont nombreux et leur compétence est mondialement reconnue ; et le sport, où nous accumulons les victoires et des performances de niveau international."
Il aurait ajouté : "Nous avons enregistré néanmoins trois échecs non négligeables :
– le petit déjeuner
– le déjeuner
– et le dîner…"
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Barack Obama vient d’entamer la seconde moitié de son dernier mandat ; frère et successeur désigné de Fidel (que l’âge et la maladie – pas les Américains ! – ont fini par obliger à quitter le pouvoir), Raúl Castro a annoncé qu’il abandonnera ses fonctions en 2018. Mais l’Histoire et leur courage les ont désignés en 2014 pour renouer le dialogue et rétablir les relations diplomatiques entre leurs deux pays.
L’un et l’autre ont souligné qu’ils n’ont pas encore abordé le fond du problème, ni discuté de ce qui les sépare.
C’est donc un long et lent processus qui débute : Barack Obama et Raúl Castro ont senti que le moment était venu de l’amorcer. Et il appartiendra à leurs successeurs de le mener à son terme.
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Les historiens qui ont observé et noté les performances des présidents américains du dernier demi-siècle ont relevé que la plupart de ceux qui avaient été réélus ont raté leur second mandat. Et surtout sa fin.
Pendant deux ans, ils moulinent dans le vide sans résultat car le Parlement bloque leurs initiatives, et leurs concitoyens, qui attendent leur départ, n’ont d’yeux que pour leurs possibles successeurs. S’agissant d’Obama, on murmure qu’il a déçu les énormes espoirs qu’il avait suscités il y a six ans, que le prix Nobel de la paix lui avait été prématurément décerné, qu’il n’était pas mérité.
Le "coup" qu’il vient de réussir – de façon inattendue et sur un terrain où on ne l’attendait pas – ouvre-t-il des perspectives différentes ?
On est en droit de l’espérer. Et même de l’escompter. Il faudrait pour cela que Barack Obama, premier président noir des États-Unis, ne se satisfasse pas d’avoir mis un terme à l’engagement militaire de son pays en Irak et en Afghanistan.
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L’homme qui vient de faire cesser les hostilités entre son pays et Cuba peut et doit, sur sa lancée, se donner pour ambition :
– de faire cesser un autre conflit vieux de trente-cinq ans : celui qui sévit entre les États-Unis et l’Iran, et dont on ne peut venir à bout qu’en faisant montre d’un grand courage ;
– de faire naître l’État palestinien à côté d’Israël. L’allié américain et la communauté internationale obligeraient l’État hébreu, dans son intérêt bien compris, à cesser d’être ce qu’il est devenu depuis 1967, il y a donc plus de quatre décennies : une puissance occupante.
C’est possible en deux ans d’autant que le président Obama semble avoir jeté les bases de ces deux belles réalisations, qui constitueraient pour lui le plus beau des palmarès.
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