Depuis l’attentat de Nice, nous sommes moins vivants et moins libres
Lors du discours d’hommage aux victimes de l’attentat de Nice, le Président français, François Hollande, a salué la mémoire de ceux qui sont morts pour que nous soyons vivants et libres. Or cette analyse, aussi belle soit-elle, ne peut être que contredite par les mesures politiques qui ont suivi les différents attentats en France.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
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et Asif Arif
Avocat au Barreau de Paris, auteur et analyste sur les questions d’islam et de laïcité.
Publié le 28 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.
Très concrètement, nous sommes bien moins libres. L’état d’urgence est prolongé (ce même régime qui a laissé faire plusieurs perquisitions abusives), la loi sur le renseignement est bel et bien votée, l’autorisation du juge judiciaire, garant des libertés individuelles est bien réduite à une peau de chagrin. En somme, il est impertinent sinon inexact de soutenir que nous sommes plus libres.
Par ailleurs, on attendait la résolution des problématiques à leur source, à savoir nos positions internationales depuis des décennies désormais et notre capacité à nous émanciper de nos alliances historiques dans notre approche de la géostratégie moyen-orientale. En France, nous sommes plus vivants, certes. Mais qu’en est-il du peuple syrien qui depuis des années désormais doit subir les bombardements des aviations militaires, bombardements que nous avons-nous-même sollicités au lendemain des attentats ?
Bien que nous soyons vivants dans notre pays, notre vie ne peut pas valoir plus cher que tous les êtres humains qui vivent sur notre planète et qui n’ont rien demandé d’autre qu’à vivre avec décence, élément essentiel de notre droit humanitaire et international. Surtout, et avant tout, la question que nous devons nous poser est plutôt celle-ci : combien de morts doit-on désormais encore comptabiliser avant de changer notre politique interne et internationale ? En réalité, la réponse à une dérive par une autre dérive n’est jamais réellement crédible et censée.
Si l’entreprise maléfique de Daech doit échouer un jour, elle a aujourd’hui obtenu tout ce qu’elle voulait. Les loups solitaires se multiplient et agissent de manière plus spontanée et jusqu’au-boutiste depuis notre propre territoire sur notre propre territoire, le Front National avance et le moindre débat sur l’islam fait jurisprudence dans tous les médias français sans qu’une analyse modérée ne puisse voir le jour.
Nous serons réellement libres lorsque les mesures attentatoires aux libertés individuelles seront stoppées et lorsque le peuple syrien retrouvera les rails de la démocratie non pas en raison de la France mais en raison de son propre vote.
De la prévention et encore de la prévention
François Hollande a annoncé la création d’une garde nationale qui sera bâtie à partir des réserves opérationnelles existantes. Soit, et après ? Nous serons encore plus libres quand le pouvoir aura opté pour une véritable campagne de prévention en profondeur, telle qu’elle s’est mise en place dans certains départements depuis 2014 et pas uniquement après coup.
Nice est un symbole, un eldorado pour les touristes du monde entier, et le 14 juillet était encore plus symbolique pour l’ensemble des Français. Le département des Alpes Maritimes concentre l’une des plus importantes parts de jeunes radicalisés depuis plusieurs années, notamment par l’action néfaste d’Omar Omsen, un Franco-Sénégalais parti en Syrie après avoir recruté en masse. Si le département a mis en place un véritable plan de lutte contre le phénomène : sensibilisation, formation, surveillance, et sécurisation des lieux publics, rien n’a pourtant empêché le camion fou de Bouhlel de commettre ses crimes sur la Promenade.
Au-delà des polémiques passées, nous serons encore plus libres quand le temps sera enfin venu de se concentrer sur plusieurs choses en amont et pas uniquement une fois que les futurs terroristes sont devenus des bombes humaines : suivi accentué des jeunes déviants d’un point de vue psychologique et éducatif, réflexion globale sur les jeunes populations et leur adhésion au sentiment national, inscription d’une réflexion en profondeur sur la résolution de la question de la radicalisation au niveau européen en suivant le plan de 2015, mais surtout le plan Euroméditerranée.
Fédérer la jeunesse autour de la question nationale
La radicalisation interroge notre rapport aux musulmans, à notre zone d’influence et aux territoires que nous avons volontairement négligés. Mais elle interroge aussi sur les moyens de fédérer la jeunesse autour de la question nationale : car ce sont les « home-growners », ceux qui sont nés ici qui se retournent le plus contre nous. Les « returnees », qui reviendront de Syrie, nous promettent aussi des jours à venir funèbres.
En réfléchissant sur une meilleure réinsertion, plutôt que de laisser ces personnes fermenter en prison, en interrogeant la question du service militaire qui permettait non seulement de brasser des populations diverses mais aussi d’offrir des perspectives d’avenir à certains écartés de l’école républicaine. Cela suppose aussi de réfléchir à toute initiative citoyenne, pour « rééduquer » ces jeunes aux principes et valeurs de notre pays et pas uniquement en les écartant dans des « centres de déradicalisation », autrement appelés centres de réinsertion et citoyenneté.
Alors nous pourrons peut-être arriver à bout des discriminations, des extrémismes, des stigmatisations, au nom du désormais galvaudé concept de « vivre ensemble ». Et de là ressusciter peut-être une forme de croyance en ce que Ernest Renan appelait dans Qu’est ce que qu’une nation ?, cette âme, ce principe spirituel, qui unit les gens. Notre liberté est à ce prix-là !
Par Asif Arif, avocat au Barreau de Paris, et Sébastien Boussois, docteur en Sciences politiques, auteurs de France-Belgique, la diagonale terroriste, Préface de Marc Trévidic, La Boite à Pandore, 2016.
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