Mahmoud Ali Youssouf : « Djibouti n’a pas tendu la main au diable »

Le ministre des Affaires étrangères djiboutien Mahmoud Ali Youssouf, mise gros sur les récents investissements chinois à Djibouti. Mais l’économie de son pays dépend aussi des suites de la crise actuelle en Éthiopie, fait-il remarquer à Jeune Afrique. Entretien.

Mahmoud Ali Youssouf, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, en octobre 2012 au siège des Nations Unies. © Jason DeCrow/AP/SIPA

Mahmoud Ali Youssouf, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, en octobre 2012 au siège des Nations Unies. © Jason DeCrow/AP/SIPA

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Publié le 28 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.

Alors que le contingent djiboutien de 2 000 hommes, stationné à Beledweyn depuis 2011, dans le cadre de la Mission pour l’Union Africaine en Somalie (Amisom), vient de subir une nouvelle attaque des Shebab, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale de Djibouti, Mahmoud Ali Youssouf, a confirmé la volonté de son pays d’accompagner le processus électoral en cours jusqu’à sa conclusion. En poste depuis 2005, cet homme fort du gouvernement, âgé de 51 ans, revient également sur les enjeux pour Djibouti de l’actuelle crise éthiopienne, ainsi que sur la présence chinoise, de plus en plus visible dans la Corne de l’Afrique.

Jeune Afrique : Le 25 octobre au matin, les Shebab ont mené une nouvelle attaque terroriste contre les troupes djiboutiennes stationnées en Somalie. Quel est le bilan de cette action ?

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Mahmoud Ali Youssouf : Pour l’instant, il est de deux morts et de sept blessés, dont deux dans un état critique qui ont été envoyés à Nairobi. Fidèles à leur mode d’action, les Shebab ont envoyé un camion bourré d’explosif sur l’un de nos avant-postes, avant de lancer une attaque en règle qui a été repoussée. Notre contingent fait régulièrement l’objet de telles attaques, mais cela ne remet pas en cause notre présence au sein de l’Amisom dont les résultats sont positifs, tant pour la Somalie que pour sa population.

Craignez-vous une recrudescence des attaques à l’approche des élections ?

Ce genre d’opération risque en effet de se multiplier. Cela fait partie de la stratégie des Shebab pour perturber le processus électoral en cours qui intervient déjà dans un contexte sécuritaire très tendu. Surtout que les Éthiopiens ont retiré une partie de leurs troupes pour les repositionner dans leur pays dans le cadre de l’état d’urgence.

Jugez-vous la situation préoccupante justement chez votre voisin éthiopien ?

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Bien sûr, mais le premier enseignement que je veux en tirer, c’est que l’Éthiopie reste solide sur le plan institutionnel et que deux ans après les premières manifestations, la situation sécuritaire du pays est sous contrôle. Ce n’est pas la fédération qui est remise en cause, mais le mode de fonctionnement du pouvoir actuellement en place.

Les observateurs parlent quand même de plusieurs centaines de morts…

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Il faut être prudent avec les chiffres qui restent difficiles à vérifier. Les choses ont évolué ces dernières années et un effort de partage du pouvoir a été réalisé à Addis-Abeba, même s’il semble être insuffisant pour certains Éthiopiens. Il semble qu’il y ait des revendications de la part d’une nouvelle génération politique qui souhaite prendre la relève, estimant qu’il existe des inégalités entre les différentes communautés et qu’il faut rééquilibrer les pouvoirs. Ils n’hésitent pas à utiliser la diaspora et les médias sociaux pour relayer leur message.

L’économie djiboutienne est de plus en plus intégrée à celle de l’Éthiopie. Vous n’êtes pas inquiet des répercussions que cette crise peut avoir sur votre pays ?

Nous sommes évidemment très vigilants. Nous avons tellement d’intérêts en commun aujourd’hui que la moindre rupture peut avoir des conséquences très douloureuses pour Djibouti, qui s’appuie clairement sur la dynamique de développement mise en place ces dix dernières années en Éthiopie. Toutes les infrastructures que nous construisons ont pour but de servir le marché éthiopien et le perdre serait une catastrophe pour notre économie.

Cette dynamique dont vous parlez a surtout été rendue possible grâce aux capitaux chinois ?

Nous n’avons pas attendu les Chinois pour comprendre, ici comme à Addis-Abeba, que nos deux pays partageaient une destinée commune et que nous devions capitaliser dessus. C’était une occasion en or pour Djibouti, que nous avons su saisir. Et la Chine est venue se greffer dessus. Elle aussi, a vu une opportunité à prendre. Et en effet, aujourd’hui, son argent et son savoir-faire consolide et cimente la direction prise par nos deux économies depuis le début des années 2000.

Les Chinois sont justement en train de construire une base militaire à Djibouti, qui sera opérationnelle en 2017. Dans quels buts ?

Il s’agit d’une base navale qui, selon l’accord signé entre nos deux pays en 2015, doit comprendre un quai et des baraquements pour accueillir 300 marins. Pas de troupes terrestres, ni aériennes. D’ailleurs il n’y aura pas de piste d’atterrissage. Les missions de ces forces seront les mêmes que pour les autres contingents installés à Djibouti à savoir, lutter contre la piraterie, protéger la route maritime, ainsi que les intérêts économiques et commerciaux très importants pour les Chinois, qui compte de très nombreux ressortissants dans toute la région.

Quelles sont les conditions d’obtention de cette base ?

Ils ont un bail de dix ans et Pékin paie annuellement 20 millions de dollars de redevance. Mais ce n’est pas le plus important pour Djibouti qui attend surtout des retombées indirectes de cet accord, liés aux investissements réalisés sur place par les entreprises chinoises. Nous sommes en train de développer une zone industrielle de 6 km² pour les recevoir, afin que Djibouti soit leur hub commercial pour toute la sous-région et en profite pour devenir un centre de transformation industriel, pourvoyeur d’emplois pour notre économie. C’est ça l’objectif de Djibouti.

Est-ce que cette dépendance à la Chine et à l’Éthiopie ne risque pas d’étouffer votre pays ?

Les autres pays n’ont pas jugé utile de nous aider à nous développer et ont toujours accusé une fin de non-recevoir à nos ambitions de disposer des infrastructures qui devaient nous permettre de trouver notre place dans le contexte d’une économie globalisée. Ils nous ont tourné le dos quand la Chine a accepté de nous suivre, malgré nos handicaps. Nous n’avons pas tendu la main au diable mais saisi une opportunité. Nous n’avions pas d’autres alternatives. Qui peut aujourd’hui dépenser des centaines de millions de dollars pour construire un train, des ports, si ce n’est la Chine ? Qui ne risque rien n’a rien.

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