Maroc : vaste indignation suite à la mort d’un marchand de poisson
Il s’appelait Mouhcine Fikri. Vendredi, son corps a été broyé par une benne à ordures, dans des circonstances non élucidées. Depuis, sa mort a jeté des milliers de Marocains dans les rues. Les autorités essaient de calmer la tension.
La scène s’est déroulée le soir du vendredi 28 octobre. Mouhcine Fikri, un marchand de poisson d’une trentaine d’années, est interpellé par des agents d’autorité dans la ville d’El Hoceima, dans le nord du Maroc. Le poisson qu’il vendait, des espadons selon la presse locale, était interdit à la pêche en cette période de l’année et donc impropre à la consommation. Les agents saisissent la marchandise et la jettent dans une benne à ordures en vue de la détruire. Tentant de s’opposer à cette destruction, Mouhcine Fikri se jette dans la benne et se fait écraser sur le champ.
La scène, filmée par des témoins, fait le tour de la toile. Insoutenable, elle montre un corps inanimé, la tête et le bras coincés dans le mécanisme de compactage.
Marches des indignés
Très vite, les réseaux sociaux s’emballent. Sous l’emprise de l’émotion, des milliers de Marocains sortent dans les rues d’El Hoceima mais aussi à Rabat, Casablanca et dans d’autres villes du pays, dénonçant la hogra et demandant que « justice soit rendue au martyr ». L’organisation Justice et Bienfaisance (Al Adl Wal Ihssane, interdite mais tolérée), la plus grande formation islamiste du pays, se joint aux manifestants, appelant à lutter contre « un pouvoir despotique qui bafoue les droits élémentaires et humains des citoyens ». Tandis que le Parti justice et développement (PJD), en pleine tractations pour former son gouvernement, a appelé ses membres à boycotter les manifestations.
Une mort non élucidée
Deux hashtags en arabe, #طحن_مو (« Broie-le »), et #كلنا_محسن_فكري (« On est tous Mouhcine Fikri ») enflamment le web. Beaucoup d’internautes demandent l’élucidation des circonstances de la mort du vendeur de poissons, pour savoir s’il s’agit bien d’un acte suicidaire ou si les agents de l’autorité ont ordonné la mise en marche de la benne même en voyant le défunt s’y jeter, comme l’ont rapporté certains médias locaux. Une thèse que le ministère de l’Intérieur marocain a formellement démentie, samedi 29 octobre, assurant que ses agents ne sont aucunement responsables de cette mort tragique.
Le roi ordonne une enquête
Craignant un scénario à la Bouazizi − du nom de ce vendeur à la criée tunisien devenu l’icône de la révolution tunisienne du 14 janvier −, les autorités ont essayé de désamorcer la crise. Le roi du Maroc, actuellement en déplacement en Tanzanie, a chargé son ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, et son ministre délégué, Charqi Draiss, de présenter ses condoléances et sa compassion à la famille du défunt. Il a ordonné l’ouverture d’une enquête « pour que des poursuites soient engagées contre quiconque dont la responsabilité serait établie dans cet incident, avec une application rigoureuse de la loi à tous, pour servir d’exemple à toute personne qui aurait failli ou manqué à ses missions et responsabilités ».
Depuis 2011, le Maroc a connu plusieurs cas d’immolation par le feu et de suicides causés par des « injustices sociales », qui ont suscité une indignation populaire. Chaque fois, les autorités ont promis l’ouverture d’une enquête mais sans communiquer les résultats.
Une région historiquement frondeuse
Dimanche 30 octobre, la situation demeurait encore tendue dans la ville d’Al Hoceima, chef lieu du Rif, une région montagneuse connue pour son passé frondeur sous Hassan II et qui a toujours eu des relations difficiles avec le pouvoir. Depuis septembre 2015, la région est présidée par Ilyass El Omari, secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), deuxième force politique du pays, qui s’est empressé de dénoncer cette « tragédie » et « le traitement dégradant » subi par le défunt.
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